Page:Leblanc - L'œuvre de mort, paru dans le Supplément du 23 mars au 24 juin 1897.pdf/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’Etna, l’immense nappe bleue de la mer et le dessin grandiose des côtes italiennes. Marc prit une pose romantique. La nature le terrassa.

Syracuse, plus clémente, lui offrit la paix d’un coucher de soleil. La barque vous berce sur le golfe, l’eau est rose, et la vieille ville vous apparaît comme une cité de rêve dans la poudre lumineuse du lointain.

Mais Ségeste fut une révélation. Il n’y comptait guère. Des incidents futiles, comme de franchir le Scamandre à dos d’homme et de partager avec son guide un morceau de bœuf durci, avaient déterminé en lui une gaîté juvénile, une explosion de gaminerie dont il s’applaudissait. Et le temple soudain se dressa, dernier vestige de l’antique Égeste fondée par les Troyens.

Marc s’arrêta, confondu. Il se trouvait au milieu d’un désert, dans un cirque de montagnes. La sécheresse du paysage où ne riait pas une touffe d’herbe, semblait imposée par l’âpreté effrayante du vieux temple dorique. Il s’inclina, ainsi que pour une prière. En sa majesté primitive, l’art se dévoilait à lui : il consiste en lignes droites se détachant sur un fond du ciel bleu. L’harmonie de ces lignes crée toutes les émotions, les plus simples et les plus complexes. Le frisson que lui refusaient les toiles du Louvre, la sévérité de ce temple le lui communiquait. Il formula :

— Il y a plus d’âme dans l’heureuse rencontre de deux lignes droites que dans la plus belle tête des maîtres.

Il fouilla la Sicile en quête de décombres grecs. L’incomparable Girgenti le pénétra de vénération. Sélinonte l’écrasa sous l’amas gigantesque de ses ruines.