Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
L’ENTHOUSIASME

— Vous n’étiez pas ainsi à Bellefeuille.

— Non… seulement, à Saint-Jore, pensez donc, on sait tout… les gens sont si mauvais !

— On ne s’occupe pas de nous, je vous assure.

— Mais si… tenez, ces dames nous observent… Oh ! allez-vous-en, Pascal.

— Écoute, déclarai-je posément, tous les jours je quitterai la maison à deux heures, je suivrai la rue de Falaise, la rue Olivier-Basselin, l’avenue Gambetta jusqu’au pont, et ensuite le boulevard… Cela deux fois et trois fois… tous les jours, tous les jours…

Dès lors ma vie s’établit d’après un principe unique : voir Geneviève aussi souvent que la moindre occasion s’en offrirait, et en dehors de toute considération de prudence. Nulle force au monde ne m’eût empêché de sortir à deux heures et de parcourir l’itinéraire indiqué. Je marchais lentement, de l’air dégagé d’un monsieur qui se promène. Mais mon cœur se crispait, mes mains étaient froides, et mes yeux se fatiguaient à questionner les silhouettes lointaines. Selon le programme la tournée recommençait une seconde fois, au besoin une troisième et une quatrième, et si lentement alors, avec de telles stations devant les vitrines, de telles pauses au coin des rues, que l’instant du diner me rappelait.

Quand je la rencontrais — c’est-à-dire tous les deux ou trois jours — je me cachais le visage pour qu’on n’en remarquât pas la rougeur. Nous affec-