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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/160

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L’ENTHOUSIASME

mes muscles capables de défendre mon butin contre l’assaut du monde entier !

Et mon audace n’avait point de bornes non plus. Tandis qu’à l’approche des vitrines, Geneviève tâchait de se dissimuler, moi, je les regardais en face, ces lumières. J’eusse affronté l’éclat et le tumulte des rues principales, je me serais montré en plein jour ! Que Philippe le sût, que mère, que Berthe Landol en fussent informées, que mes ennemis les plus acharnés me rencontrassent, qu’importait ! Il serait trop tard, puisque je la tenais.

— Tu me fais mal, gémit-elle, je t’en supplie, laisse-moi, je te suivrai.

Je ne songeai même pas à relâcher l’étau de mes doigts. Pour un peu de douleur infligée, risque-t-on de perdre ce que l’on a conquis ! Je ne répondis pas et marchai plus vite. « Si elle tombe, je la porterai, pensais-je. » Aucune appréhension ne me troublait, car je n’admettais point qu’il y eût un événement qui pût interrompre le cours de ma volonté. J’étais sûr de moi, sûr du destin. Pendant des années, de toute mon âme croyante, de tous mes instincts enthousiastes, de toute ma jeunesse irréfléchie, de toute ma raison et de tout mon amour, j’avais cherché le bonheur, tour à tour victorieux et vaincu, loyal en ma poursuite légitime : mais cette fois je le tenais, et je le ne lâcherais plus. Je le tenais comme un malfaiteur qui se dérobe. Je le tenais comme une de ces femmes perfides qui n’appartiennent qu’au maître