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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/175

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L’ENTHOUSIASME

lière. Par quel héroïsme d’amour forçait-elle au mensonge sa généreuse nature ? Je devinais ses transes pendant les abominables journées. Elle ne quittait point les abords de l’usine, elle épiait les pas de Philippe, elle l’entraînait au château, l’étourdissait d’histoires invraisemblables sur mon compte, lui confectionnait ses plats favoris, riait, le taquinait, le consultait, tout plutôt que de le libérer avant l’heure annoncée !

Oh ! les petites complicités auxquelles le peu à peu de la vie vous amène, et qui, grâce à un enchaînement de faits imperceptibles, deviennent presque des devoirs dans l’intérieur d’une famille, voilà ce qui répugne aux âmes rigides ! S’y abaisser prouve plus de grandeur morale qu’une intolérance farouche.

Mais le côté sublime des actions quotidiennes ne se révèle pas au moment où on les accomplit. Il faut qu’elles reposent et que le temps les dépouille des principes secondaires dont elles sont chargées inévitablement, pour que leur pureté véritable se dégage et enchante nos yeux. Aveuglé par mes passions, je profitai de cet état de choses et continuai mes voyages avec une entière assurance d’esprit. Qu’avais-je à redouter ? Mère veillait.

Elle me dit un jour :

— Es-tu bien sûr de ne pas te tromper, Pascal ? Tu refuses tout conseil, toute autorité… l’opinion publique, tu n’en as cure… tu n’as pas d’autre règle que ton bon plaisir…