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L’ENTHOUSIASME

mon insu, au ménage détraqué des Darzas, à Geneviève qui s’épouvante et à Philippe qui s’inquiète, à l’égarement de ma sœur et surtout aux tourments de ma mère. Certes j’ai le droit d’aimer et d’être heureux, mais à quelles décisions inconcevables ai-je abouti en usant de ce droit ! Certes je me conforme à ma nature, mais si elle se déforme, elle, sous la pression des événements ? Et n’en est-il pas ainsi ? Est-ce dans ma nature d’être cruel, opiniâtre et emporté ? Est-ce bien moi, moi dont on louait autrefois la franchise, qui me plie aujourd’hui à tous les mensonges, me retranche derrière les ruses et les hypocrisies, ai recours à la complicité d’un aubergiste et d’une fille publique ?

— Ma conscience me dirige, ma conscience m’absout, avais-je riposté aux blâmes de ma mère.

Quelle conscience ? Ce mot que j’ai toujours à la bouche, que représente-t-il ? Où se cache ce personnage invisible et muet que je ne cesse de prendre à témoin ? La seule réalité qu évoque ce terme si vague, c’est l’ensemble des opinions, des croyances et des préjugés que l’on m’a inculqués, c’est la vieille conscience chrétienne sur qui le monde repose. Celle-là je l’ai détruite. Ce que je nomme ma conscience ce n’est déjà plus cette voix où résonnent tous les échos du passé, et ce n’est pas encore la voix hardie et puissante de l’homme libre et sûr de lui-même, sage et raisonnable, que mon rêve imagine. C’est tout au plus le souvenir de ce à quoi j’ai cru et l’intuition de ce vers quoi