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L’ENTHOUSIASME

rais pour toi, Pascal, que je ne te prouverais pas plus d’amour qu’en venant ici. Crois bien que je t’aime.

Nos lèvres s’unissaient : il n’y avait plus de souffrance ni de mauvais souvenirs. C’était cette chose vivante et palpable, grave et spirituelle, simple et diverse, primitive et lumineuse et brûlante et fraiche, le bonheur. Il s’offre à nous sous d’innombrables formes, et il nous suffit de le choisir selon nos goûts de flânerie ou d’activité, de minutie ou de désordre, de silence ou de tumulte. Mais le plus parfait, c’est l’amour qui nous le donne. Celui-là, Geneviève me l’apportait dans le secret de sa chair savoureuse et de son âme exquise, et elle en imprégnait si profondément ma chair et mon âme que le parfum s’en prolongeait au delà de notre séparation, le long de ces journées maussades où je fouillais le vide des rues. Et pourtant son dernier baiser me semblait le baiser d’un adieu suprême, et le lendemain il fallait me mettre de nouveau à la conquérir.

L’heure de la défaite allait-elle me surprendre en pleine félicité, comme l’annonçaient tant de symptômes, le caractère moins égal de Philippe, l’irritation croissante de mère, et les rumeurs d’impatience, les menaces qui m’arrivaient de toutes parts ? Je fermais mes poings, je serrais mes bras sur ma poitrine, je m’arc-boutais solidement comme un homme qui a un trésor que tout le monde convoite et qui prétend le garder. Vérité indiscutable :