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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/242

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L’ENTHOUSIASME

Mon premier mouvement fut de retourner à Saint-Jore. Et mère ? Avais-je le droit de lui infliger de nouveaux tourments et de détruire son espoir ? Pourquoi substituer mon influence à la sienne ? Qui m’assurait que mon idéal valait mieux ?

Lorsque deux devoirs nous sollicitent, également justes, il est bien rare que ce ne soit pas des motifs personnels qui fixent notre choix. J’aurais pris franchement position pour ou contre ce mariage, j’aurais secouru ma sœur ou approuvé ma mère, que je ne me fusse jamais cru coupable dans la suite. Mais je me suis abstenu par lâcheté, et j’en ai des remords. C’est la horde des vieux préjugés qui m’a fait capituler, et dont les clameurs ont couvert la voix inquiète de ma conscience. Le but vers lequel se dirigeait Claire, ce but d’affranchissement et d’art qui choquait mes instincts de petit jeune homme de Saint-Jore, j’ai pensé que le mariage en serait la condamnation définitive, J’ai été le frère qui songe à ce qu’on dira de sa sœur, si elle ne suit pas le chemin habituel. Et le drame s’est accompli sans que j’eusse l’énergie de m’y opposer.

Oh ! les lettres douloureuses de Claire, des phrases m’en obsèdent encore aujourd’hui. « J’ai le vertige… je faiblis peu à peu… Parfois j’ai l’illusion que j’aime, le plus souvent tout m’est indifférent… Qu’arrivera-t-il au cas où je consentirais ? Si je suis heureuse et respectée, soit, mais si je ne le suis pas ? Me vois-tu, toute ma vie, écrasée, sup-