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L’ENTHOUSIASME

— Pourquoi es-tu venu ? pour la voir ? pour l’emmener ?

— Je ne sais pas.

— C’est la seconde fois en quinze jours… tu ne peux donc pas la laisser ?… Cependant tu avais promis à ta mère de partir… ta mère s’y est engagée envers moi… encore hier.

— Ah ! mère s’est engagée, vous la voyez donc, Philippe ?

— Ah ! çà, t’imagines-tu que j’étais aveugle et que j’assistais tranquillement à ce qui se passait dans mon intérieur ? Alors toute ma patience, ce serait pour tes beaux yeux ? Et tout à l’heure, dans le couloir, si je ne t’ai pas étranglé, et maintenant si j’ai le courage de te parler et de te voir, ce serait parce que tu es Monsieur Pascal. Ah ! mon garçon, s’il n’y avait que toi ! mais voilà… voilà…

Il s’apaisa tout d’un coup et sa voix s’émut :

— Il y a ta mère, ta sainte femme de mère, et pour elle je ne sais pas ce que je ferais. Si je suis quelque chose à Saint-Jore, si j’ai une position, du crédit sur la place, de l’importance, de la considération, c’est grâce à elle ! Sans elle, je restais le contremaître de Bellefeuille, un ouvrier presque… Alors, tu comprends, c’est pour elle que j’ai tout supporté… Toi, je te déteste… et puis non, je ne te déteste pas… tu es son fils.

Jusqu’ici je m’étais tenu debout contre la table, les bras croisés, arrogant malgré moi… Je m’assis à ses côtés et lui dis :