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L’ENTHOUSIASME

nous sommes heureux, et plus il nous faut agir comme si nous ne l’étions pas, nous soucier du chemin que nous parcourons, et jeter autour de nous des regards clairvoyants. Celui qui est au soleil doit veiller à ce que son ombre ne vole à personne le bienfait d’un seul rayon.

— Pascal, tu vas t’en aller, n’est-ce pas ? redit encore Philippe d’une voix anxieuse.

— Oui, m’écriai-je éperdu d’amour, oui, demain, je partirai demain.

— Tu ne chercheras jamais à revoir Geneviève ?

— Jamais.

— Jure-le sur la tête de ta mère.

— Sur la tête de ma mère.

C’était fini. Un flot de bonté avait emporté les dernières résistances de mes instincts. Ce qu’il peut y avoir en moi d’aspirations généreuses avait prévalu contre les conseils équivoques de ma raison. J’en éprouvai du contentement et un peu d’orgueil.

Après un silence, il me dit du ton d’un ami :

— Tu fais bien de partir, ta place n’est pas à Saint-Jore.

Il ne m’avait adressé aucun reproche. Pourquoi nous était-il défendu de nous donner la main et d’être affectueux ? Sûrement, si cela eût été admissible, c’est moi, oui, c’est moi qui eus pleuré dans ses bras, et c’est lui qui m’eût consolé ; car, en vérité, depuis le serment que je venais de faire, il n’y avait plus entre nous d’autre souffrance que ma souf-