Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
L’ENTHOUSIASME

— Peut-être, mère, mais moi aussi j’ai raison… il y a quelque chose qui a tort en dehors de nous, voilà… j’ai l’impression d’une grande injustice… ou n’a pas le droit de m’arracher mon bonheur. Du moment que nous nous aimons, Geneviève et moi, je n’admets pas qu’on nous sépare… on n’en a pas le droit… mère… c’est injuste… c’est injuste…

Quel motif m’a jeté en pleine nuit dans le train de Bellefeuille ? Comment cette nuit maudite s’est-elle écoulée ? J’ai mis tant d’attention à n’y jamais penser que le souvenir en flotte sur ma mémoire comme des nuées changeantes… Je suis sous un arbre, devant les fenêtres de Geneviève. Je regarde. Quoi ? la pluie tombe et l’on distingue à peine la maison… Je m’approche et j’essaye d’entrer. Dans quel but ? Une croisée cède cependant et renverse une chaise. Je m’enfuis. Les routes obscures s’entrelacent. Des haies me barrent le passage… Aux premières lueurs de l’aube, transi de froid et de. fatigue, je frappe à la porte d’une auberge dont la patronne refuse de m’ouvrir… et je dors dans une grange… et à mon réveil, il est si tard que je suis obligé de courir vers les sapins où Geneviève m’attendait chaque jour. Mais ce que je n’ai pas oublié, c’est sa pâleur, ses yeux cerclés de noir, sa robe de chambre en velours marron, le châle qu’elle portait sur la tête, tous ces détails de désespoir et de mise hâtive.

— Vous savez donc, Geneviève ?