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L’ENTHOUSIASME

les routes du village qu’avait choisi grand-père, sur la berge monotone du canal, le long des rues noires de la ville voisine ! Ces premières semaines ne m’offrent que des souvenirs de lassitude physique et de sanglots. Je suis dans ma chambre, couché, et quatre jours et quatre nuits se succèdent sans que j’aie le courage de sortir. J’entre dans un magasin, j’indique au marchand la forme des cravates que je désire, et mes joues se sillonnent de larmes. Partout je pleure, dehors, à table, en lisant, en m’habillant, en dormant ! Cela coule de ma vie comme de la pluie d’un ciel brumeux. J’en riais moi-même avec mélancolie, et j’écrivais : « On me suivrait à la trace comme un petit Poucet qui sèmerait des larmes sur sa route, au lieu de cailloux et de pain. Hélas ! je n’ai pas l’espoir que Geneviève me retrouve, moi. »

Le manque d’espoir, voilà ce qui fit ma douleur si amère. Quoi qu’il arrivât, quelque prodige que l’on pût attendre de notre amour et de notre foi, rien ne ferait que l’avenir continuât le passé. Je pensais à Geneviève comme on pense à un être disparu et à mon bonheur comme à quelqu’un qui a été tué. Le meurtre s’était accompli inopinément, à Bellefeuille, sous des arbres dépouillés et près d’un fil de fer qui grinçait, et je ne serais plus heureux puisque mon bonheur et mon amour, nés ensemble et frappés en même temps, ne se concevaient point l’un sans l’autre.

« Ton retour à Saint-Jore serait d’un effet dé-