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L’ÉCLAT D’OBUS

Conrad, les crimes de la comtesse Hermine, les liens de parenté qui pouvaient unir les deux femmes, toutes les luttes que Paul avait soutenues, toutes ses angoisses, toutes ses révoltes, toutes ses haines… autant de détails insignifiants, maintenant qu’il apercevait à vingt pas de lui sa bien-aimée malheureuse. Il ne songea plus qu’aux larmes qu’elle avait versées et il n’aperçut plus que sa silhouette amaigrie, frissonnante sous la bise d’hiver.

Il s’approcha. Son pas grinça sur le galet de l’allée, et la jeune femme se retourna.

Elle n’eut pas un geste. Il comprit, à l’expression de son regard, qu’elle ne le voyait pas, en réalité, mais qu’il était pour elle comme un fantôme qui surgit des brumes du rêve, et que ce fantôme devait bien souvent flotter devant ses yeux hallucinés.

Elle lui sourit même un peu, et si tristement que Paul joignit les mains et fut près de s’agenouiller.

— Élisabeth… Élisabeth… balbutia-t-il.

Alors elle se redressa et porta la main à son cœur, et elle devint plus pâle encore qu’elle ne l’était la veille au soir, entre le prince Conrad et la comtesse Hermine. L’image sortait des brumes. La réalité se précisait en face d’elle et dans son cerveau. Cette fois elle voyait Paul !

Il se précipita, car il lui semblait qu’elle allait tomber. Mais elle fit un effort sur elle-même, tendit les mains pour qu’il n’avançât point, et le regarda profondément, comme si elle eût voulu pénétrer jusqu’aux ténèbres mêmes de son âme et savoir ce qu’il pensait.

Paul ne bougea plus, tout palpitant d’amour.

Elle murmura :