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L’ÉCLAT D’OBUS

c’est qu’un sentiment, vraiment inattendu chez une femme comme vous, vous attache peu à peu à celui que vous avez choisi comme victime. J’ai déposé au dossier une photographie de vous, envoyée de Berlin à M. d’Andeville. À cette époque vous espériez l’amener au mariage, mais il voit clair dans votre jeu, se dérobe et rompt. »

La comtesse avait froncé les sourcils. Sa bouche se tordit. On sentait toute l’humiliation qu’elle avait subie et toute la rancune qu’elle en gardait. En même temps, elle éprouvait, non point de la honte, mais une surprise croissante à voir ainsi sa vie divulguée dans ses moindres détails, et son passé de crimes surgir des ténèbres où elle le croyait enseveli.

— Quand la guerre fut déclarée, repartit Paul, votre œuvre était au point. Postée dans la villa d’Ébrecourt, à l’entrée du tunnel, vous étiez prête. Mon mariage avec Élisabeth d’Andeville, mon arrivée subite au château d’Ornequin, mon désarroi devant le portrait de celle qui avait tué mon père, tout cela, qui vous fut annoncé par Jérôme, vous surprit bien un peu, et il vous fallut improviser un guet-apens où je manquai d’être assassiné à mon tour. Mais la mobilisation vous débarrassa de moi. Vous pouviez agir. Trois semaines après, Corvigny était bombardé, Ornequin envahi, Élisabeth prisonnière du prince Conrad…

« Vous avez vécu là des heures inexprimables. Pour vous, c’est la vengeance, mais c’est aussi, et cela grâce à vous, la grande victoire, le grand rêve accompli ou presque, l’apothéose des Hohenzollern. Encore deux jours et Paris