Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1916.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
L’ÉCLAT D’OBUS

Elle voulut lui appliquer la main sur la bouche pour le réduire au silence. Mais Paul eut un geste de recul comme s’il se refusait à subir le contact de sa femme, et ce fut un mouvement si brusque, si instinctif, qu’elle s’écroula avec des sanglots, tandis que lui, exaspéré, fouetté par la douleur et la haine, en proie à une sorte d’hallucination épouvantée qui le faisait reculer jusqu’à la porte, proférait :

— La voilà ! C’est sa bouche mauvaise, ses yeux implacables ! Elle pense au crime. Je la vois… je la vois… Elle s’avance vers mon père ! Elle l’entraîne !… Elle lève le bras !… Elle le tue !… Ah ! la misérable !…

Il s’enfuit…


Cette nuit-là, Paul la passa dans le parc, courant comme un fou, au hasard des allées obscures, ou se jetant exténué sur le gazon des pelouses, pleurant, et pleurant indéfiniment.

Paul Delroze n’avait jamais souffert que par le souvenir du crime, souffrance atténuée, mais qui, néanmoins, dans certaines crises, devenait aiguë, jusqu’à lui sembler la brûlure d’une plaie nouvelle. La douleur, cette fois, fut telle et si imprévue que, malgré sa maîtrise habituelle et l’équilibre de sa raison, il perdit véritablement la tête. Ses pensées, ses actes, ses attitudes, les mots qu’il criait dans la nuit, furent ceux d’un homme qui n’a plus la direction de lui-même.

Une seule idée revenait toujours en son cerveau tumultueux, où les idées et les impressions tourbillonnaient comme des feuilles au vent, une seule pensée terrible : « Je connais celle qui a tué mon père, et la femme que j’aime est la fille de cette femme ! »