Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1916.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
L’ÉCLAT D’OBUS

d’une mère qu’elle respectait et, en fin de compte, se soumettant d’avance aux décisions de son mari.

Il eut alors, à déjeuner seul, sous les yeux des gens qui le servaient, la sensation profonde que sa vie était perdue et qu’Élisabeth et lui, au jour même de leur mariage, devenaient, par suite de circonstances dont ils n’étaient ni l’un ni l’autre responsables, des ennemis que rien au monde ne pouvait plus rapprocher l’un de l’autre. Il n’avait, certes, point de haine contre elle et ne lui reprochait pas le crime de sa mère, mais inconsciemment il lui en voulait, comme d’une faute, d’être la fille de cette mère.

Durant deux heures, après le repas, il resta enfermé dans la chambre du portrait, tragique entrevue qu’il voulait avoir avec la meurtrière, pour s’emplir les yeux de l’image maudite et pour donner à ses souvenirs une force nouvelle.

Il examina les moindres détails. Il étudia le camée, le cygne aux ailes déployées qui s’y trouvait représenté, les ciselures du serpent d’or qui servait de cadre, l’écartement des rubis, et aussi le mouvement de la dentelle autour des épaules, et aussi la forme de la bouche, et la nuance des cheveux, et le dessin du visage.

C’était bien la femme qu’il avait vue, un soir de septembre. Dans un coin du tableau, il y avait la signature du peintre et, en dessous, un cartouche : Portrait de la comtesse H. Sans doute, le tableau avait-il été exposé, et l’on s’était contenté de cette désignation discrète : comtesse Hermine.

— Allons, se dit Paul, encore quelques minutes et tout ce passé ressuscitera. J’ai retrouvé la coupable, il n’y a plus qu’à retrouver le lieu