Aller au contenu

Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1923.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

– Oh ! oh ! pour creuser dans le roc un tunnel de dix kilomètres, quatre hommes et une heure de temps !

– Pas davantage. En outre, je demande le secret absolu, et sur la tentative, et sur les découvertes assez curieuses qu’elle ne peut manquer de produire. Seul, le général en chef en aura connaissance par le rapport que je dois lui faire.

– Entendu. Je vais choisir moi-même mes quatre gaillards. Où dois-je vous les amener ?

– Sur la terrasse, près du donjon.

Cette terrasse domine le Liseron d’une hauteur de quarante à cinquante mètres, et, par suite d’un repli de la rivière, s’oriente exactement face à Corvigny, dont on aperçoit au loin le clocher et les collines avoisinantes. Le donjon n’a plus que sa base énorme, que prolongent les murs de fondation, mêlés de roches naturelles, qui soutiennent la terrasse. Un jardin étend jusqu’au parapet ses massifs de lauriers et de fusains.

C’est là que Paul se rendit. Plusieurs fois il arpenta l’esplanade, se penchant au-dessus de la rivière et inspectant, sous leur manteau de lierre, les blocs écroulés du donjon.

– Et alors, dit le lieutenant qui survint avec ses hommes, voilà votre point de départ ? Je vous avertis que nous tournons le dos à la frontière.

– Bah ! répondit Paul sur le même ton de plaisanterie, tous les chemins mènent à Berlin.

Il indiqua un cercle qu’il avait tracé à l’aide de piquets, et, invitant les hommes à l’ouvrage :

– Allez-y mes amis.

Ils attaquèrent, sur une circonférence de trois mètres environ, un sol végétal où ils creusèrent, en vingt minutes, un trou d’un mètre cinquante. À cette profondeur, ils rencontrèrent une couche de pierres cimentées les unes avec les autres, et l’effort devint beaucoup plus difficile, car le ciment était d’une dureté incroyable, et on ne pouvait le disjoindre qu’à l’aide de pics introduits dans les fissures. Paul suivait le travail avec une attention inquiète.

– Halte ! cria-t-il au bout d’une heure.

Il voulut descendre seul dans l’excavation et continua, dès lors, à creuser, mais lentement, et en examinant pour ainsi dire l’effet de chacun des coups qu’il portait.

– Ça y est, dit-il en se relevant.

– Quoi ? demanda Bernard.

– Le terrain où nous sommes n’est qu’un étage de vastes constructions qui avoisinaient autrefois le vieux donjon, constructions rasées depuis des siècles et sur lesquelles on a aménagé ce jardin.

– Alors ?

– Alors, en déblayant le terrain, j’ai percé le plafond d’une des anciennes salles. Tenez.

Il saisit une pierre, et l’engagea au centre même de l’orifice plus étroit pratiqué par lui, et la lâcha. La pierre disparut. On entendit presque aussitôt un bruit sourd.

– Il n’y a plus qu’à élargir l’entrée. Pendant ce temps nous allons nous procurer une échelle et de la lumière… le plus possible de lumière.

– Nous avons des torches de résine, dit l’officier.

– Parfait.

Paul ne s’était pas trompé. Lorsque l’échelle fut introduite et qu’il put descendre avec le lieutenant et avec Bernard, ils virent une salle de dimensions très vastes et dont les voûtes étaient soutenues par des piliers massifs qui la divisaient, comme une église irrégulière, en deux nefs principales et en bas-côtés plus étroits.

Mais tout de suite Paul attira l’attention de ses compagnons sur le sol même de ces deux nefs.

– Un sol en béton, remarquez-le… Et, tenez, comme je m’y attendais, voici deux rails qui courent dans la longueur d’une des travées !… Et voici deux autres rails dans l’autre travée !

– Mais enfin, quoi, qu’est-ce que cela veut dire ? s’écrièrent Bernard et le lieutenant.

– Cela veut dire tout simplement, déclara Paul, que nous avons devant nous l’explication évidente du grand mystère qui entoura la prise de Corvigny et de ses deux forts.

– Comment ?

– Corvigny et ses deux forts furent démolis en quelques minutes, n’est-ce pas ? D’où venaient ces coups de canon, alors que Corvigny se trouve à six lieues de la frontière, et qu’aucun canon ennemi n’avait franchi la frontière ? Ils venaient d’ici, de cette forteresse souterraine.

– Impossible !

– Voici les rails sur lesquels on manœuvrait les deux pièces géantes qui effectuèrent le bombardement.

– Voyons ! On ne peut pas bombarder du fond d’une caverne ! Où sont les ouvertures ?

– Les rails vont nous y conduire. Éclaire-nous bien, Bernard. Tenez, voici une plate-forme montée sur pivots. Elle est de taille, qu’en dites-vous ? Et voici l’autre plate-forme.

– Mais les ouvertures ?

– Devant toi, Bernard.

– C’est un mur…

– C’est le mur qui, avec le roc même de la colline, soutient la terrasse au-dessus du Liseron, face à Corvigny. Et dans ce mur deux brèches circulaires ont été pratiquées, puis rebouchées par la suite. On distingue très nettement la trace encore visible, presque fraîche, des remaniements exécutés.

Bernard et le lieutenant n’en revenaient pas.

– Mais c’est un travail énorme ! prononça l’officier.

– Colossal ! répondit Paul ; mais n’en soyez pas trop surpris, mon cher camarade. Voilà seize ou dix-sept ans, à ma connaissance, qu’il est commencé. En outre, comme je vous l’ai dit, une partie de l’ouvrage était