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Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1923.djvu/87

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crimes, et la copie de vos lettres, et certaines de vos lettres elles-mêmes. Il prévoyait qu’un jour ou l’autre, une fois votre œuvre accomplie, vous le sacrifieriez à votre sécurité, et il se vengeait d’avance… Il se vengeait comme le garde Jérôme et sa femme Rosalie, sur le point d’être fusillés par votre ordre, se sont vengés en révélant à Elisabeth votre rôle mystérieux au château d’Ornequin. Voilà vos complices ! Vous les tuez, mais ils vous perdent. Ce n’est plus moi qui vous accuse. Ce sont eux. Leurs lettres, leurs témoignages sont déjà entre les mains de vos juges. Que pouvez-vous répondre ?

Paul se tenait presque contre elle. À peine si le coin de la table les séparait l’un de l’autre, et il la menaçait de toute sa colère et de toute son exécration.

Elle recula jusqu’au mur, sous un porte-manteau où étaient pendus des vêtements, des blouses, toute une défroque qui devait lui servir à se déguiser. Bien que cernée, prise au piège, confondue par tant de preuves, démasquée et impuissante, elle gardait une attitude de défi et de provocation. La partie ne semblait pas perdue pour elle. Des atouts restaient dans son jeu. Et elle dit :

– Je n’ai pas à répondre. Vous parlez d’une femme qui a commis des crimes. Et je ne suis pas cette femme. Il ne s’agit pas de prouver que la comtesse Hermine est une espionne et une criminelle. Il s’agit de prouver que je suis la comtesse Hermine. Or qui peut le prouver ?

– Moi !

À l’écart des trois officiers que Paul avait indiqués comme faisant fonction de juges, il y en avait un quatrième, entré en même temps, et qui avait écouté dans le même silence et dans la même immobilité.

Celui-là s’avança.

La lueur de la lampe illumina sa figure.

La comtesse murmura :

– Stéphane d’Andeville… Stéphane…

C’était en effet le père d’Elisabeth et de Bernard. Il était très pâle, affaibli par les blessures qu’il avait reçues et dont il commençait seulement à se remettre.

Il embrassa ses enfants. Bernard lui dit avec émotion :

– Ah ! te voici, père.

– Oui, dit-il, j’ai été averti par le général en chef, et je suis venu à l’appel de Paul. Un rude homme que ton mari, Elisabeth. Tantôt, déjà, quand nous nous sommes retrouvés dans les rues de Soissons, il m’avait mis au courant. Et maintenant, je me rends compte de tout ce qu’il a fait… pour écraser cette vipère.

Il s’était posé face à la comtesse, et l’on sentait toute l’importance des mots qu’il allait dire. Un moment, elle baissa la tête devant lui. Mais ses yeux redevinrent bientôt provocants. Et elle articula :

– Vous aussi, vous venez m’accuser ? Qu’avez-vous à dire contre moi, à votre tour ? Des mensonges, n’est-ce pas ? Des infamies ?

Il attendit qu’un long silence eût recouvert ces paroles. Puis, lentement, il prononça :

– Je viens d’abord en témoin, qui apporte sur votre identité l’attestation que vous réclamiez tout à l’heure. Vous vous êtes présentée jadis sous un nom qui n’était pas le vôtre, et sous lequel vous avez réussi à gagner ma confiance. Plus tard, lorsque vous avez cherché à nouer entre nous des relations plus étroites, vous m’avez révélé votre véritable personnalité, espérant ainsi m’éblouir par vos titres et par vos alliances. J’ai donc le droit et le devoir de déclarer, devant Dieu et devant les hommes, que vous êtes bien la comtesse Hermine de Hohenzollern. Les parchemins que vous m’avez montrés sont authentiques. Et c’est justement parce que vous étiez la comtesse de Hohenzollern que j’ai cessé des rapports qui m’étaient d’ailleurs, je ne savais pas pourquoi, pénibles et désagréables. Voilà mon rôle de témoin.

– Rôle infâme, s’écria-t-elle furieusement. Rôle de mensonge, je vous l’avais bien dit. Pas une preuve !

– Pas une preuve ? fit le comte d’Andeville, qui s’approcha d’elle, tout vibrant de colère. Et cette photographie, envoyée de Berlin par vous, et signée par vous ? Cette photographie, où vous avez eu l’impudence de vous habiller comme ma femme ? Oui, vous ! Vous ! vous avez fait cela ! Vous avez cru qu’en essayant de rapprocher votre image et l’image de ma pauvre bien-aimée, vous évoqueriez en moi des sentiments qui vous seraient favorables ! Et vous n’avez pas senti que c’était la pire injure, pour moi, et le pire outrage, pour la morte ! Et vous avez osé, vous, vous, après ce qui s’était passé !…

Ainsi que Paul Delroze un instant auparavant, le comte était debout contre elle, menaçant et plein de haine. Elle murmura, avec une sorte d’embarras :

– Eh bien, pourquoi pas ?

Il serra les poings et reprit :

– En effet, pourquoi pas ? J’ignorais alors ce que vous étiez, et je ne savais rien du drame… du drame d’autrefois… C’est aujourd’hui seulement que j’ai rapproché les faits, et si je vous ai repoussée autrefois avec une répulsion instinctive, c’est avec une exécration sans pareille que je vous accuse maintenant… maintenant que je sais… oui, que je sais, et en toute certitude. Déjà, lorsque ma pauvre femme se mourait, plusieurs fois, dans sa chambre d’agonie, le docteur me disait : « C’est un mal étrange. Bronchite, pneumonie, certes, et cependant il y a des choses que je ne comprends pas… des symptômes… pourquoi ne pas le dire ? des symptômes d’empoisonnement. » Je protestais alors. L’hypothèse était impossible. Empoisonnée, ma femme ! Et par qui ? Par vous, comtesse Hermine, par vous ! Je l’affirme aujourd’hui. Par vous ! Je le jure sur mon salut éternel. Des preuves ? Mais, c’est votre