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Page:Leblanc - L’Éclat d’obus, 1923.djvu/94

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L’échange eut lieu à l’heure fixée.

Les vingt prisonniers français furent rendus.

Paul Delroze prit à part l’officier d’ordonnance.

– Monsieur, lui dit-il, vous voudrez bien rapporter à l’empereur que la comtesse Hermine de Hohenzollern a essayé d’assassiner, à Soissons, le général en chef. Arrêtée par moi et jugée, elle a été, sur les ordres du général en chef, fusillée. Je suis possesseur d’un certain nombre de ses papiers et surtout de lettres intimes auxquelles, je n’en doute pas, l’empereur attache personnellement la plus grande importance. Ces lettres lui seront renvoyées le jour où le château d’Ornequin aura retrouvé tous ses meubles et toutes ses collections. Je vous salue, monsieur.

C’était fini. Sur toute la ligne, Paul gagnait la bataille. Il avait délivré Elisabeth et vengé son père. Il avait frappé à la tête le service d’espionnage allemand et tenu, en exigeant la liberté des vingt officiers français, toutes les promesses faites au général en chef.

Il pouvait concevoir de son œuvre une fierté légitime.

Au retour, Bernard lui dit :

– Alors, je t’ai choqué tout à l’heure ?

– Plus que choqué, dit Paul en riant, indigné.

– Indigné, vraiment !… Indigné !… Ainsi voilà un jeune mufle qui essaye de te prendre ta femme, et il en est quitte pour quelques jours de cellule ! Voilà un des chefs de ces brigands qui assassinent et qui pillent, et il va rentrer chez lui et recommencer ses pillages et ses assassinats ! Voyons, c’est absurde. Réfléchis un peu que tous ces bandits qui ont voulu la guerre, princes, empereurs, femmes de prince et d’empereur, ne connaissent de la guerre que ses grandeurs et que ses beautés tragiques, et jamais rien des angoisses qui torturent les pauvres gens. Ils souffrent moralement dans l’effroi du châtiment qui les guette, mais non point physiquement dans leur chair et dans la chair de leur chair. Les autres meurent. Eux, ils continuent à vivre. Et alors que j’ai cette occasion unique d’en tenir un, alors que je pourrais me venger de lui et de ses complices, l’exécuter froidement comme ils exécutent nos sœurs et nos femmes, tu trouves extraordinaire que je lui fasse connaître pendant dix minutes le frisson de la mort ! Non, c’est-à-dire qu’en bonne justice humaine et logique j’aurais dû lui infliger un minimum de supplice qu’il n’aurait jamais oublié. Lui couper une oreille, par exemple, ou le bout du nez.

– Tu as mille fois raison, dit Paul.

– Tu vois, j’aurais dû lui couper le bout du nez ! Tu es de mon avis ! Combien je regrette ! Et moi, imbécile, je me suis contenté d’une misérable leçon dont il ne se souviendra même plus demain. Quelle poire je suis ! Enfin, ce qui me console, c’est que j’ai pris une photographie qui constitue le plus inestimable des documents… la tête d’un Hohenzollern en face de la mort. Non, mais l’as-tu vue, cette tête !

L’auto traversait le village d’Ornequin. Il était désert. Les barbares avaient brûlé toutes les maisons et emmené tous les habitants, comme on chasse devant soi des troupeaux d’esclaves.

Cependant ils aperçurent assis parmi les décombres un homme en haillons, un vieillard. Il les regarda stupidement avec des yeux de fou.

À côté, un enfant leur tendit les bras, de pauvres petits bras qui n’avaient plus de mains…