Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/199

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pauvres battements d’un cœur épuisé. Mais la tête, inclinée à gauche, l’empêchait de coller son oreille contre la poitrine, et il n’osait y toucher. Un souffle inégal et rauque rompait seul le silence.

Il dit tout bas :

« Véronique, tu m’entends ?… Véronique… Véronique… »

Après un moment d’hésitation, il continua :

« Il faut que tu saches… oui, ça m’épouvante moi-même ce que je fais. Mais c’est le destin… Tu te rappelles la prédiction ? « Ta femme mourra sur la croix. » Mais ton nom lui-même, Véronique, c’est cela qu’il évoque !… Souviens-toi que sainte Véronique essuya la figure du Christ avec un linge, et que sur ce linge resta marquée l’image sacrée du Sauveur… Véronique, tu m’entends, Véronique ?… »

Il redescendit en hâte, arracha le flacon de rhum aux mains de Conrad et le vida d’un coup.

Alors, il fut pris d’une sorte de délire qui le fit divaguer pendant quelques instants dans une langue que ses acolytes ne comprirent point. Puis il se mit à provoquer l’ennemi invisible, à provoquer les dieux, à lancer des imprécations et des blasphèmes.

« Vorski est le plus fort. Vorski domine le destin. Il faut que les éléments et les puissances mystérieuses lui obéissent. Tout se passera comme il l’a décidé, et le grand secret lui sera annoncé dans les formes mystiques et selon les préceptes de la cabale. Vorski est attendu comme le prophète. Vorski sera accueilli avec des cris de joie et d’extase, et quelqu’un, que j’ignore et que je ne fais qu’entrevoir, viendra au-devant de lui avec des palmes et des bénédictions. Qu’il se prépare celui-là ! Qu’il surgisse des ténèbres et qu’il monte de l’enfer ! Voici Vorski ! Qu’au son des cloches et qu’au chant des alléluias, le signal fatidique se produise à la face du ciel, pendant que la terre s’entr’ouvre et projette des tourbillons de flammes. »

Il garda le silence comme s’il eût épié dans l’espace les signes qu’il prédisait. D’en haut tombait le râle désespéré de la mourante. L’orage grondait au loin,