Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/235

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deux, Véronique et l’autre… L’autre qui s’appelait Elfride ? n’est-ce pas, je ne me trompe pas ?… Elfride et Véronique… tes deux épouses… l’une la mère de Raynold, l’autre la mère de François… et alors si ce n’est pas la mère de François que tu as attachée sur la croix, et que tu viens de frapper, c’est la mère de Raynold… Si ce n’est pas Véronique la femme qui est là et dont les poignets sont meurtris par le supplice, c’est Elfride. Pas d’erreur possible… Elfride, ton épouse et ta complice… Elfride, ton âme damnée… Et tu le sais tellement bien que tu aimes mieux me croire sur parole plutôt que de risquer un coup d’œil et de voir le visage livide de cette morte-là, de ta complice obéissante et torturée par toi. Capon, va ! »

Vorski, en effet, avait caché sa tête dans son bras replié. Il ne pleurait pas ! Vorski ne pouvait pleurer. Cependant, ses épaules étaient agitées de secousses, et il y avait dans son attitude l’expression du désespoir le plus farouche.

Cela dura assez longtemps. Puis le frissonnement des épaules cessa. Néanmoins, Vorski ne bougeait pas.

« Vrai, tu me fais pitié, mon pauvre vieux, reprit don Luis. Tu y tenais donc tant que cela à ton Elfride ? Une habitude, hein ? Un fétiche ? Que veux-tu, on n’est pas bête à ce point-là, non plus ! On sait ce qu’on fait ! On se renseigne ! On réfléchit, que diable ! Or, toi, tu nages dans le crime comme un nouveau-né qui se jetterait à l’eau. Rien d’étonnant à ce que tu t’enfonces et à ce que tu coules. Ainsi le vieux Druide est-il mort ou vivant ? Conrad lui a-t-il planté son poignard dans le dos, ou bien est-ce moi qui joue le rôle de ce diabolique individu ? Bref, y a-t-il un vieux Druide et un grand d’Espagne, ou bien ces deux personnages ne font-ils qu’un ? Tout cela, pour toi, mon pauvre enfant, c’est la bouteille à l’encre. Il faudrait pourtant s’expliquer. Veux-tu que je t’aide ? »

Si Vorski avait agi sans réfléchir, il fut facile de voir, quand il releva la tête, qu’il avait pris cette fois le temps de la réflexion et qu’il savait fort bien à quelle résolution désespérée les circonstances l’acculaient. Il était certes