Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/252

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fétichisme grossier. Dès qu’elle en eut le pouvoir, elle dut lutter contre le bloc de granit qui attirait tant de fidèles et perpétuait une si détestable religion. La lutte était inégale, le passé succomba. Le Dolmen fut transporté où nous sommes, la dalle des rois de Bohème fut ensevelie sous une couche de terre, et un calvaire s’éleva à l’endroit même des miracles sacrilèges.

« Et par là-dessus, le grand oubli !

« Entendons-nous. Oubli des pratiques. Oubli des rites et de ce qui constituait l’histoire d’un culte disparu. Mais non pas oubli de la Pierre-Dieu. On ne savait plus où elle était. On arriva même à ne plus savoir ce que c’était. Mais on ne cessa point d’en parler et de croire à l’existence de quelque chose que l’on appelait la Pierre-Dieu. De bouche en bouche, de génération en génération, on se repassa des récits fabuleux et terribles, qui s’écartaient de plus en plus de la réalité, qui formaient une légende de plus en plus vague, de plus en plus effroyable, d’ailleurs, mais qui entretenaient dans les imaginations le souvenir et surtout le nom de la Pierre-Dieu.

« Il était logique, étant donné cette persistance d’une idée dans les mémoires, cette survivance d’un fait dans les annales d’un pays, que, de temps à autre, quelque curieux essayât de reconstituer la vérité prodigieuse. Deux de ces curieux, le frère Thomas, qui appartenait à l’ordre des Bénédictins, vers le milieu du quinzième siècle, et le sieur Maguennoc, de nos jours, ont joué un rôle important. Le frère Thomas est un poète et un enlumineur sur lequel nous n’avons que peu de renseignements, un très mauvais poète, à en juger par ses vers, mais un enlumineur naïf et non sans talent, qui a laissé une sorte de missel où il a chanté son séjour à l’abbaye de Sarek et dessiné les trente dolmens de l’île, le tout accompagné de pièces, de citations religieuses et de prédictions à la façon de Nostradamus. C’est ce missel, découvert par le sieur Maguennoc, qui contenait la fameuse page des femmes en croix et de la prophétie relative à Sarek ; c’est ce missel que, moi-même, j’ai retrouvé et consulté, cette nuit, dans la chambre de Maguennoc.

« Bizarre personnage que ce Maguennoc, petit-fils