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Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/71

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tant d’efforts et par des émotions si violentes. Elle s’endormit presque aussitôt. Tout-Va-Bien veillait au pied de son lit.

Le lendemain elle s’éveilla tard, avec une impression singulière d’apaisement et de sécurité. Il lui semblait que sa vie actuelle se reliait à sa vie douce et calme de Besançon. Les quelques jours d’horreur qu’elle avait passés prenaient le recul d’événements lointains et dont le retour ne pouvait pas l’inquiéter. Les êtres qui avaient disparu dans la grande tempête demeuraient pour elle un peu comme des étrangers qu’on a rencontrés et qu’on ne verra plus. Son cœur ne saignait pas. Le deuil n’atteignait point le fond de son âme.

C’était le repos imprévu et sans limites, la solitude réconfortante. Et cela lui parut si bon que, un vapeur étant venu mouiller sur le lieu du sinistre, elle ne fit aucun signal. Sans doute, la veille, avait-on aperçu de la côte la lueur des explosions et entendu le fracas des détonations. Véronique ne bougea point.

Elle vit un canot se détacher du vapeur, et elle pensa bien qu’on allait aborder et explorer le village. Mais outre qu’elle redoutait une enquête où son fils pouvait être mêlé, elle ne voulait point qu’on la trouvât, elle, qu’on l’interrogeât, qu’on découvrit son nom, sa personnalité, son histoire, et qu’on la fît rentrer dans le cercle infernal d’où elle était sortie. Elle préférait attendre une semaine ou deux, attendre qu’un hasard fît passer à la porte de l’île quelque barque de pêcheur qui la recueillerait.

Mais personne ne monta jusqu’au Prieuré. Le vapeur s’éloigna et rien ne troubla l’isolement de la jeune femme.

Elle resta ainsi trois jours. Le destin semblait avoir renoncé à lui livrer de nouveaux assauts. Elle était seule et maîtresse d’elle-même. Tout-Va-Bien, dont la présence lui avait apporté un grand réconfort, disparut.

Le domaine du Prieuré occupe toute l’extrémité de l’îlot, sur l’emplacement d’une abbaye de Bénédictins, abandonnée au quinzième siècle, et peu à peu tombée en ruines et détruite.

La maison, bâtie au dix-huitième siècle par un riche