Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/84

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Mais une flèche encore siffla et se perdit au loin. Véronique prit aussi la fuite, atteignit les derniers arbres, et se précipita sur la pente qui dévalait vers le pont.

Elle courait éperdument, poussée non point tant par une terreur, d’ailleurs légitime, que par la volonté évidente de trouver une arme et de se défendre. Elle se rappelait que, dans le bureau de son père, il y avait une vitrine remplie de fusils et de revolvers qui tous portaient la mention « chargés », écrite sans doute à cause de François, et c’était une de ces armes dont elle voulait se saisir pour faire front à l’ennemi. Elle ne se retournait même pas. Elle n’éprouvait pas le besoin de savoir si elle était poursuivie. Elle courait au but, au seul but qui fût utile.

Plus légère, plus vive, elle rattrapa Gertrude.

Celle-ci haleta :

« Le pont… il faut le brûler… le pétrole est là… »

Véronique ne répondit pas. La rupture du pont, c’était secondaire, ç’eût été même un obstacle à son dessein de prendre un fusil et d’attaquer l’ennemi.

Mais comme elle arrivait au pont, Gertrude fit une pirouette qui la jeta presque dans l’abîme. Une flèche l’avait atteinte aux reins.

« À moi ! à moi ! proféra-t-elle… ne m’abandonnez pas…

— Je reviens, répliqua Véronique qui, n’ayant pas vu la flèche, croyait que Gertrude avait fait un faux pas… je reviens, j’apporte deux fusils… vous me rejoindrez… »

Dans son esprit, elle imaginait qu’une fois armées toutes deux elles retourneraient jusqu’au bois et délivreraient les autres sœurs. Ainsi, redoublant d’efforts, elle franchit le pont, gagna le mur du domaine, traversa la pelouse et monta dans le beau de son père. Là, elle dut s’arrêter, hors d’haleine, et, quand elle eut empoigné les deux fusils, il lui fallut, tellement son cœur battait, revenir à une allure plus lente.

Elle fut étonnée de ne pas rencontrer et de ne pas apercevoir Gertrude. Elle l’appela. Aucune réponse