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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/106

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maurice leblanc

— Mais oui, les êtres profondément religieux, en qui Dieu habite, sont pleins de réticences, de scrupules cachés, de pudeurs morales, de détours même. J’ai beau vous chercher, je ne vous trouve pas. Et cependant, je suis si curieux de vous, Flavie !

Il avait toujours soin de mettre la conversation sur le plan moral. Mais, était-ce bien moralement qu’il la cherchait, quand ses yeux erraient furtivement autour d’elle ?

L’été resplendissait, le soleil donnait au vert des pelouses et au bleu de la mer une telle intensité que l’on percevait la vibration des couleurs. Les fleurs s’inclinaient sur leurs tiges sèches. L’ombre même était aride. Et une odeur de résine qui brûle suintait des arbres.

Parfois, non loin d’eux, les trois sœurs, renonçant à leurs courses, s’assemblaient au pied d’un catalpa et chassaient l’air en flammes avec de grands éventails en plumes qui voilaient et révélaient tour à tour leurs corps dénudés.

Étendu sur une chaise longue, tourné de leur côté, Stéphane ne le voyait pas. Véronique lui était devenue indifférente. Il ne s’intéressait plus à Élianthe.

Vers le 20 août, à la suite d’orages, le temps se rafraîchit, le ciel fut plus pâle. Les promenades des trois sœurs recommencèrent. Irène Karef revint.

À diverses reprises, elle rencontra Stéphane et ils échangeaient des paroles quelconques. Le regard, d’Irène qui n’était plus comme avant hostile et chargé de rancœur, lui souriait avec une nuance d’ironie qui l’agaçait.

Un matin qu’il flânait le long de la ligne des tours, il trouva Irène près de l’Acropole, assise sur une pierre, et la cigarette à la bouche. Il eut d’abord l’impression qu’elle l’attendait. Mais ce devait être une erreur, car elle parla distraitement de sujets insignifiants. À la fin, elle demanda :

— Je rentre. Vous m’accompagnez ?…

Elle suivit le chemin qui menait à la clairière, puis, paraissant se tromper, elle en prit un autre qui remontait et s’éloignait du château. Après cinq minutes de marche silencieuse, sur un sol feutré d’aiguilles de sapins, elle s’arrêta net et saisit le bras de Stéphane.

Sur l’autre versant d’une dépression, tout en haut, Flavie était assise sur le tronc coupé d’un arbre et lisait, la tête penchée.

Il murmura :

— On croirait que vous m’avez amené là avec intention.

Sans lui lâcher le bras, elle l’attira doucement, à demi courbée, et l’incitant à se courber aussi, parmi des taillis et des ondulations de terrains. Ils retournèrent ainsi à la ligne escarpée des tours, au niveau même