Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
l’image de la femme nue

En réalité, Stéphane ne pensait beaucoup qu’à Flavie. Son détachement n’était que superficiel, et il lui fallait du temps pour guérir une blessure plus profonde qu’il ne le croyait. Son heureuse nature l’y aida. Les deux visions de la statue et de Flavie qui s’étaient naguère rejointes dans son esprit, il ne tarda pas à les dissocier l’une de l’autre, et il n’eut pas trop de honte à évoquer la splendeur de l’image nue, puisque c’était celle qu’il avait cherchée et qui n’était autre que l’image de la Vénus Impudique. Pour Flavie, peu à peu, sa tendresse se dégageait de toute pensée trouble.

Ce qui persista, et à quoi il n’était pas habitué, ce fut une sensation d’ennui. L’aventure avait été trop belle pour que la vie ne lui parût pas dénuée de tout intérêt. Qu’est-ce qui pouvait attirer un homme qui avait vécu dans le paradis d’Esmiane, entre Véronique et Lœtitia, Élianthe et Flavie, avec l’espoir constant et inavoué d’une volupté nouvelle et d’une joie imprévue ?

Il écrivait souvent à Séphora. Dans ses réponses, celle-ci ne parlait jamais qu’affaires et détails matériels. Jamais aucune allusion aux sœurs d’Esmiane. Cependant, Séphora insistait pour qu’il continuât à écrire et à donner son adresse.

Mais un événement se produisit, dont les conséquences devaient avoir sur sa vie une influence considérable. Un soir, après plusieurs journées de tempête, comme il parcourait, à Biskra, les dépêches qui donnaient des nouvelles sur les désastres provoqués le long des côtes de France et d’Afrique, il lut cet entrefilet :

« Un raz de marée entre Port-Saint-Louis et les Saintes-Maries.

« On annonce qu’un raz de marée d’une violence inouïe a bouleversé le littoral. En particulier, sous l’assaut irrésistible de la trombe, le vieux domaine d’Esmiane, dernier morceau d’une sorte de forteresse rocheuse entamée déjà de tous côtés, et minée par l’effort séculaire des eaux, a été arraché, dispersé et réduit en un vaste marais de boue où surgissent des blocs de pierre et où flottent des arbres déracinés… »

Une dépêche de la dernière heure affirmait que, par un véritable miracle, on n’avait à déplorer aucun accident de personne.

Presque aussitôt Stéphane recevait un télégramme de Madrid.

« Soyez sans inquiétude. Nous étions toutes ici. Lettre suit.Séphora. »

La lettre arriva le surlendemain. Stéphane éprouva une grande émotion : elle était signée Flavie ! Et dès les premiers mots, il comprit pourquoi elle s’était résolue à lui écrire, et avec quel apaisement elle devait l’avoir fait !