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l’image de la femme nue

« Adieu, mon cher Stéphane. Je prierai pour vous avec autant de constance et d’élan que pour mes trois sœurs bien-aimées.

« Flavie d’Esmiane. »

À quatre mois de distance, par un radieux matin de juillet, Stéphane se fit conduire en auto sur la route d’Arles aux Salins de Giraud. Un cheval l’attendait devant une auberge de Sambuc. Il s’engagea aussitôt parmi les plaines marécageuses de la Camargue et se dirigea vers l’Arche-d’Ormet. Pèlerinage émouvant, où il retrouva, devant l’Arche, toute la fraîcheur de ses impressions premières, mais qui n’était pas le but de son expédition.

Deux heures encore pour atteindre la cabane, deux heures où son émotion croissait à chaque courbe du chemin sinueux, à chacun des étangs côtoyés ou franchis.

De loin, le groupe des pins lui apparut, comme autrefois, puis il vit la barrière de roseaux, puis l’allée des cyprès qui conduisait à la cabane d’Amalthée. Mais là, quand il fut entré, aux aboiements, tout de suite calmés, du chien, il nota des changements. Le vieux logis s’était accru d’une aile bâtie comme lui en pierres moussues, coiffée du même toit de roseaux. Et, par derrière, il y avait une autre issue qui ouvrait sur un grand espace que ceignaient des fils de fer tendus entre des poteaux peints en blanc. Dans cet espace, des remises et des étables aménagées provisoirement. Personne, ni d’un côté ni de l’autre.

Stéphane n’osa pas franchir le seuil de la cabane, dont la porte était cependant entre-baillée, ni même regarder par l’une des fenêtres basses. Si la maison était vide, il ne doutait pas qu’elle ne fût habitée. Une réserve singulière le retenait, lui qui avait pénétré jadis dans cette pièce en maître, presque en amant déjà.

La plaine, cependant, s’anima, par delà l’enclos voisin. Il entendit, au loin, une voix qui lançait ces cris par quoi les « gardians » commandent à leurs troupes de chevaux ou de bœufs. C’était une voix chantante d’adolescent.

Le troupeau avança, précédé de poulains efflanqués qui gambadaient. Ils pénétrèrent dans l’enclos, il y avait une vingtaine de Camarguais blancs et mal conformés, qui lui rappelèrent Sauvageon et Bucéphale.

Et soudain, il aperçut le « gardian », armé de son trident long comme une lance. Sous le grand chapeau de paille, il reconnut Véronique.

Alors il sut qu’il n’était pas venu par devoir, ni pour obéir à Flavie, mais parce que Véronique représentait toute la magnifique aventure, et la vie féerique du domaine, et la statue retrouvée et ensevelie, et les