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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/20

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maurice leblanc

leurs teintes et leurs plis, les époques successives. Et tous se résumaient en un seul, qui était l’image de la femme impudique. C’était une suite d’efforts acharnés, de tentatives, de maladresses, d’échecs, d’aspirations douloureuses vers un idéal une seule fois rencontré sans doute, et après quoi Guillaume Bréhange avait couru jusqu’aux derniers mois de son existence, ne le retrouvant que pour en mourir.

Avec quelle avidité et quelle angoisse Stéphane les contemple, ces fantômes auxquels son père s’efforçait vainement de donner la vie et l’absolue perfection qu’il entrevoyait ! Et avec quelle curiosité il les compare à la statue inachevée où le rêve ancien s’est épanoui de nouveau.

Ainsi, l’image définitive se fondait devant ses yeux, et l’image qu’il a surprise sur la dalle des Quatre-Fées ajoute encore à la netteté de sa vision. L’Impudique est là, qui s’étale devant ses yeux. Plus il la regarde et la connaît, et plus il la comprend. Sans immodestie à première vue, ni provocation, presque chaste même, elle dégage peu à peu, de tout son corps nu, une impression non pas tant de perversité que de volupté ardente et de sensualité naturelle. Le buste se renverse légèrement. Les jambes, longues, s’entr’ouvrent, prêtes à l’accueil. La chair, savoureuse et frémissante, défaille. Les seins, un peu trop gros dans leur perfection, gonflés de désir, se tendent vers la caresse des lèvres. L’expression du visage, qui semble d’abord angélique, devient trouble, mystérieuse, inquiétante, avec un sourire d’extase et des yeux noyés de langueur. Et même, sur le visage inachevé de la dernière statue, on discerne cette ivresse de la femme qui s’abandonne avant même de se donner.

Mais qui est-elle ? La question ne cesse de se poser à Stéphane. Lors de l’enterrement de son père, beaucoup de femmes sont venues. Était-elle au nombre de ces femmes, de ces dévotes qui venaient dire adieu à celui qu’elles avaient aimé ? Comment la reconnaître ? Et, première énigme, quel âge lui donner ? En toute certitude, la femme que représentait la statue dérobée était une femme en plein épanouissement, qui ne pouvait avoir moins de vingt-cinq ans. Et l’artiste ayant mis deux ou trois ans à la créer, si l’on ajoutait les vingt années d’intervalle, le calcul donnait près de cinquante ans. Alors ? Alors, les dernières images révélant une femme du même âge que la première, Guillaume Bréhange aurait décidément retrouvé un autre être de même forme et de même jeunesse ?

Durant les semaines qui suivirent, Stéphane élargit son enquête parmi les relations que Guillaume Bréhange entretenait autour de lui. Tout ce qu’il apprit lui montra son père tel qu’il le connaissait, aimable, séduisant, contradictoire dans ses actes, enthousiaste et découragé, ardent et