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l’image de la femme nue

— Oui. Qu’elle est admirable, n’est-ce pas ? J’ai deux autres sœurs… Élianthe qui est au château… et Flavie qui voyage en Espagne.

— Je suis sûr que vous êtes la plus belle.

— Pas quand je suis auprès de mes sœurs, s’écrie la jeune femme dans un élan de conviction. Si vous voyiez Élianthe… et Flavie surtout. C’est à se mettre à genoux devant elle…

— Elle est peut-être plus belle que vous, Véronique, mais vous êtes plus belle qu’elle.

Elle traduisit tout bas, citant le vers même d’Ovide :

« — Pulchrior hæc illa est ; hæc est quoque pulchrior illa. »

— Comment, dit-il en riant, vous savez aussi le latin ?

— Oui, mais je vous fais parler, et Irène me grondera.

— Irène ?… l’infirmière ?

— C’est une étrangère que ma sœur Élianthe a connue en Italie et qui est devenue son amie… Irène Karef.

— Et vos parents, Véronique ?

— Nous sommes orphelines. Nous vivons au château d’Esmiane, que nous avons appelé le château des Hespérides. Nous y vivons avec notre tuteur, Zoris, et une gouvernante, Séphora l’Égyptienne, qui s’occupe de tout, qui règle la vie, tient la caisse, et nous enseigne la danse.

— Et joue de la mandoline, sans doute ?

— Comment le savez-vous ?

— Hier soir je vous ai vues de loin, qui dansiez sur la terrasse.

— Mon Dieu ! si je l’avais su ! Mais il fallait venir à moi !… C’étaient des amis d’Élianthe et d’Irène, des officiers de marine. Pourquoi n’êtes-vous pas venu vers moi, mon chéri ?

Stéphane pense longtemps à cette phrase. Ainsi, elle aurait voulu qu’il vînt vers elle, devant tous ! Au fond, il ne comprend rien à ce qui se passe dans ce château, ni aux rapports de ces jeunes femmes entre elles, ou avec le reste du monde, et il ne tient pas à comprendre : cela fait partie de la vie mystérieuse à laquelle le destin le mêle de façon si déconcertante et d’où il ne veut pas s’évader.

Le soir arrive. Irène Karef vient faire le pansement.

Stéphane souffre moins, mais la tête est lourde encore et le cerveau confus. Elle allume la lampe, la voile d’un abat-jour épais, prépare une potion et recommande le silence. Puis, une cigarette aux lèvres, elle s’en va.

Il demeure ainsi, dans une prostration somnolente, sans la moindre fièvre, incapable de réfléchir, mais conservant une acuité extraordinaire de perception. Toutes les heures sonnent pour lui, toutes les odeurs flottent, et tous les bruits rôdent et l’assiègent.

L’un d’eux, lointain, le berce, porté par la mer, un bruit cadencé et