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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/62

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maurice leblanc

ancestrale n’a pas changé de mains. Il restaure le château, se construit un pavillon, et, deux ans plus tard, meurt subitement.

« Voilà pour le passé. Le présent ? Un merveilleux jardin à l’italienne escalade le flanc du coteau, dans un cadre de pins parasols. De beaux vases sculptés alternant avec des pierres debout, véritables dolmens du pays, ornent la partie plane, terrasse et pelouse, qui mène à un vieux château, très simple de lignes. De la terrasse, on domine les deux baies que sépare le promontoire et, à droite et à gauche, les ondulations du rivage. C’est là, dans ce petit royaume, fortifié pourrait-on dire, où l’on parvient si difficilement du côté de la terre qu’il est permis de le considérer comme inaccessible, c’est là, entre mer et Camargue, que les quatre filles poussent en liberté, sans entraves ni direction, suivant les mouvements de leurs natures.

« De surveillance, point. Il y a bien Zoris, l’ancien associé du père, qui a liquidé la Banque d’Athènes, qui leur sert en quelque sorte de tuteur, gère leur fortune, et subvient sans compter, par l’intermédiaire de la gouvernante Séphora, à tous leurs besoins et caprices. Mais ce Zoris, qui habite le pavillon isolé — je lui ai été présenté fortuitement dans les bois, par Véronique, c’est un homme à cheveux blancs et à barbe blanche, taillée en pointe, jeune encore, maladif d’aspect, et qui a été fort aimable avec moi, comme on le serait avec un futur gendre dont la demande en mariage vient d’être agréée — ce Zoris ne s’est occupé de ses quatre pupilles que pour leur faire, en langue grecque d’autrefois, des cours d’esthétique et de morale épicurienne où il exalte la beauté corporelle, les exercices physiques, les déesses de l’Olympe, les mérites du paganisme et le siècle de Périclès et de Phidias…

« Qu’est-il résulté de cette éducation, où, je ne sais trop pourquoi, j’aurais quelque tendance à voir comme une secrète pensée de démoralisation ?

« Tout d’abord, à vingt ans, Flavie, l’aînée, quitte le château où elle ne vient qu’à de longs intervalles. Pourquoi ce départ, et que fait-elle à l’étranger ? Désir d’échapper à l’influence de Zoris ? Je ne pourrais le dire.

« Sur les trois autres, cette influence s’est exercée librement, quoique je ne pense pas que leurs idées sur le paganisme soient très nettes. Elles ont, certes, adopté des noms. Il y a le promontoire de Leucade et la grotte d’Andromède, et le môle où s’attache le Castor s’appelle la pointe de Minerve. Mais ce sont là jeux et fantaisies. Ce qui est plus caractéristique, c’est que toutes trois, tour à tour et selon leur âge, mènent la vie la plus indépendante. Élianthe et Lœtitia achètent un bateau de plaisance, choisissant ainsi l’espace libre de la mer. Véronique, terrienne et solitaire, s’éprend de la Camargue.

« Sur la vie intime de Lœtitia, je n’ose affirmer rien de précis, sauf