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maurice leblanc

Il était riche. En dehors de son père, le célèbre sculpteur Guillaume Bréhange, qu’il voyait peu d’ailleurs, et d’un de leurs parents éloignés, le docteur Gassier, il n’avait aucune famille et pas d’autres liens dans la vie que des amitiés et des relations professionnelles, C’était donc la bonne et pleine liberté.

Les arbres commençaient, sous le frisson de novembre, à perdre leur parure de feuilles rousses et jaunes, et, très vite, il aperçut, au bout du sentier, la clairière où se dressent les Quatre-Fées. Un demi-cercle de sapins, brûlés par le vent, les enferme d’un côté, et, de l’autre, elles s’adossent à une terrasse de granit sur laquelle se penche l’ouverture d’une grotte dont le fronton abrite tout le terre-plein.

Par elles-mêmes, les pierres, peu imposantes mais identiques de forme et de volume, ne présenteraient qu’un intérêt relatif. Mais le lieu est d’un caractère druidique impressionnant. L’autel est prêt pour le sacrifice. Les prêtres sortent de la grotte obscure. Le sang, par les interstices des cailloux cimentés qui soutiennent la terrasse, coulera jusqu’au pied des quatre divinités.

Stéphane s’assit et prit sur son album une esquisse des Quatre-Fées. Puis il pénétra dans la grotte, laquelle n’offrait rien de curieux.

Contre une des parois étaient rangées deux des colonnes destinées au portique de la villa qui n’avait pas été construite, et une demi-douzaine de dalles assez larges ; appuyées les unes contre les autres.

Or, le soleil, encore assez bas, car il n’était pas dix heures, éclairait vivement la première dalle et les yeux de Stéphane se fixèrent distraitement sur cette plaque blanche, lisse et nette, où une image retint son attention. C’était le dessin d’une femme nue, creusé profondément, à la pointe d’un ciseau, par un trait ferme, sûr, et d’une prodigieuse habileté. Debout, presque aussi grande que nature, la femme offrait un visage inachevé, des jambes et des bras simplement ébauchés, mais un torse admirable, une courbe charmante des épaules et une gorge pleine, harmonieuse et parfaite.

Stéphane regardait avec une curiosité croissante. Sans aucun doute, le dessin ne remontait pas à plus de quelques années, puisque la dalle était intacte, et le bord non ébréché. Mais où donc avait-il contemplé ces lignes pures et ce beau corps voluptueux ? Le spectacle évoquait en lui le souvenir confus d’une vision familière. Était-ce la copie de quelque chef-d’œuvre ? une réminiscence fortuite ? ou bien était-ce ?…

La dernière hypothèse qui se formula dans son esprit le remplit de trouble, tellement elle lui semblait absurde et folle, et tellement, néanmoins, elle correspondait à une réalité indiscutable. Oui, l’inspiration qui avait suscité cette silhouette, il la reconnaissait comme ayant ima-