Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/102

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La Cagliostro leva sur lui des yeux effarés. :

— Tu sais donc ?… Comment sais-tu ?…

— Nous sommes restés ensemble, elle et moi, durant quelques heures, dit-il en riant.

Elle articula :

— Mensonges ! Tu parles au hasard… La valise ne m’a quittée d’une seconde, depuis la prairie du Mesnil-sous-Jumièges jusqu’au coffre-fort.

— Si, puisque tu l’as descendue dans la cale du Ver-Luisant.

— Je me suis assise sur le battant de fer qui recouvre cette cale, et un homme à moi veillait au-dessus du hublot par où tu aurais pu entrer, et cela pendant tout le temps que nous étions en rade du Havre.

— Je le sais.

— Comment le saurais-tu ?

— J’étais dans la cale.

Phrase effrayante ! Il la répéta, puis à la stupeur de Joséphine Balsamo, s’amusant lui-même de son récit, il raconta :

— Mon raisonnement, au Mesnil-sous-Jumièges, devant la borne détruite, fut celui-ci : « Si je cherche cette bonne Joséphine, je ne la retrouverai pas. Ce qu’il faut, c’est deviner l’endroit où elle sera à la fin de cette journée, m’y rendre avant elle, être là quand elle y arrivera, et profiter de la première occasion pour barboter les pierres précieuses. » Or, traquée par la police, poursuivie par moi, avide de mettre le trésor à l’abri, inévitablement tu devais fuir, c’est-à-dire passer à l’étranger. Comment ? Grâce à ton bateau, le Ver-Luisant.

» À midi, j’étais au Havre. À une heure, les trois hommes de ton équipage s’en allaient prendre leur café au bar, je franchissais le pont et plongeais à fond de cale, derrière un amoncellement de caisses, de tonneaux et de sacs de provisions. À six heures, tu arrivais et tu descendais ta valise au moyen d’une corde, la mettant ainsi sous ma protection… »

— Tu mens… tu mens… balbutia la Cagliostro, d’une voix rageuse.

Il continua :

— À dix heures, Léonard te rejoint. Il a lu les journaux du soir et connaît le suicide de Beaumagnan. À onze heures, on lève l’ancre. À minuit, en pleine mer, on est abordé par un autre bateau. Léonard, qui devient prince Lavorneff, préside au déménagement. Tous les matelots, tous les colis ayant de la valeur, tout cela passe d’un pont à l’autre et, en particulier, bien entendu, la valise que tu remontes du fond de la cale. Et puis, au diable, le Ver-Luisant !

» Je t’avoue qu’il y a eu là, pour moi, quelques vilaines minutes. J’étais seul. Plus d’équipage. Pas de direction. Le Ver-Luisant semblait dirigé par un homme ivre, qui se cramponne à son gouvernail. On eût dit un jouet d’enfant, que l’on a remonté, et qui tourne, qui tourne… Et puis, je devinais ton plan, la bombe placée quelque part, le mécanisme se déclenchant, l’explosion…

» J’étais couvert de sueur. Me jeter à l’eau ? J’allais m’y décider, lorsque, au moment d’enlever mes chaussures, je me rendis compte, avec une joie qui me fit défaillir, qu’il y avait, dans le sillage du Ver-Luisant, attaché par une amarre, un canot qui bondissait sur l’écume. C’était le salut. Dix minutes plus tard, assis tranquillement, je voyais une flamme jaillir dans l’ombre, à quelques centaines de mètres, et j’entendais une détonation rouler à la surface de l’eau comme les échos du tonnerre. Le Ver-Luisant sautait…

» La nuit suivante, après avoir été quelque peu ballotté, j’étais poussé en vue des côtes, non loin du cap d’Antifer. Je me mettais à l’eau, j’atterrissais… et le jour même je me présentais ici… pour me préparer à ta bonne visite, ma chère Joséphine. »

La Cagliostro avait écouté, sans interrompre, et l’air assez rassuré. Autant de paroles inutiles, avait-elle l’air de dire. L’essentiel, c’était la valise. Que Raoul se fût caché dans le bateau, et qu’ensuite il eût évité le naufrage, cela n’avait point d’importance.

Elle hésitait cependant à poser la question définitive, sachant bien, tout de même, que Raoul n’était pas homme à tant risquer pour ne point obtenir d’autre résultat que de se sauver lui-même. Elle était toute pâle.

— Eh bien ! fit Raoul, tu ne me demandes rien ?

— Qu’ai-je à te demander ? Tu l’as dit toi-même. J’ai repris la valise. Depuis, je l’ai mise en lieu sûr.