Page:Leblanc - La Comtesse de Cagliostro, paru dans Le Journal, 1923-1924.djvu/38

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Josine ne répondit point, impassible. Il continua :

— Entre la mère et la fille, ressemblance parfaite… si parfaite que l’aventure recommence tout naturellement. Pourquoi deux comtesses ? Il n’y en aura qu’une, une seule, l’unique, la vraie, celle qui a hérité des secrets de son père Joseph Balsamo, comte de Cagliostro. Et lorsque Beaumagnan fait son enquête, il en arrive inévitablement à retrouver les documents qui ont déjà égaré la police de Napoléon, et la série des portraits et miniatures, qui attestent l’unité de la toujours jeune femme, et qui font remonter son origine jusqu’à la vierge de Bernardino Luini à qui le hasard l’a si étrangement assimilée.

» D’ailleurs, il y a un témoin : le prince d’Arcole. Le prince d’Arcole a vu jadis la comtesse de Cagliostro. Il l’a conduite à Modane. Il la revoit à Versailles. Quand il l’aperçoit, un cri lui échappe : « C’est elle ! Et elle a le même âge ! »

» Sur quoi tu l’accables sous un monde de preuves le récit des quelques mots échangés à Modane entre ta mère et lui, récit que tu as lu dans le journal très minutieux que ta mère tenait de ses moindres actions. Ouf ! Voilà le fonds et le tréfonds de l’aventure. Et c’est très simple. Une mère et une fille qui se ressemblent, et dont la beauté évoque une image de Luini. Un point, c’est tout. Il y a bien la marquise de Belmonte. Mais je suppose que la ressemblance de cette dame avec toi est assez vague, et qu’il a fallu la bonne volonté et le cerveau détraqué du sieur Beaumagnan pour vous confondre toutes deux. En résumé, rien de dramatique, une intrigue amusante et bien menée. J’ai dit. »

Raoul se tut. Il lui sembla que Joséphine Balsamo avait un peu pâli et que sa figure se contractait. À son tour, elle devait être vexée, et cela le fit rire.

— J’ai touché juste, hein ? dit-il.

Elle se déroba.

— Mon passé m’appartient, dit-elle et mon âge n’importe à personne. Tu peux croire ce qui te plaît à ce propos.

Il se jeta sur elle et l’embrassa furieusement.

— Je crois que tu as cent quatre ans, Joséphine Balsamo, et rien n’est plus délicieux que le baiser d’une centenaire. Quand je pense que tu as peut-être connu Robespierre, et peut-être Louis XVI.

L’incident ne se renouvela pas. Raoul d’Andrésy sentait si nettement l’irritation de Joséphine Balsamo à la moindre tentative indiscrète qu’il n’osa plus la questionner. D’ailleurs ne savait-il pas la vérité exacte ?

Certes, il la savait, et aucun doute ne demeurait en son esprit. Néanmoins, la jeune femme conservait tout un prestige mystérieux qu’il subissait malgré lui et dont il éprouvait quelque rancune.

À la fin de la troisième semaine, Léonard refit son apparition. Un matin, Raoul avisa la berline aux deux petits chevaux efflanqués de la comtesse qui s’en allait.

Elle ne revint que le soir. Léonard transporta sur la Nonchalante des ballots ficelés dans des serviettes, qu’il laissa glisser par une trappe dont Raoul ignorait l’existence.

La nuit, Raoul, ayant réussi à ouvrir la trappe, visita les ballots. Ils contenaient d’admirables dentelles et des chasubles précieuses.

Le surlendemain, nouvelle expédition. Résultat : une magnifique tapisserie du xvie siècle.

Ces jours-là Raoul s’ennuyait fort. Aussi, à Mantes, se trouvant encore seul, il loua une bicyclette et roula quelque temps à travers la campagne. Après avoir déjeuné, il aperçut, au sortir d’une petite ville, une vaste maison dont le jardin était rempli de gens. Il s’approcha. On vendait aux enchères de beaux meubles et des pièces d’argenterie.

Désœuvré, il fit le tour de la maison. Un des pignons se dressait dans une partie déserte du jardin, et au-dessus d’un bosquet feuillu. Sans trop savoir à quelle impulsion il obéissait, Raoul, avisant une échelle la dressa, monta et enjamba le rebord d’une fenêtre ouverte.

Il y eut un léger cri à l’intérieur. Raoul aperçut Joséphine Balsamo, qui se reprit aussitôt et lui dit d’un ton très naturel :

— Tiens, c’est vous, Raoul ? Je suis en train d’admirer une collection de petits livres reliés… Des merveilles ! Et d’une rareté !

Ce fut tout. Raoul examina les livres et