scène est bien préparée, il ne reste plus qu’à procéder par affirmations violentes. Et c’est ainsi que Béchoux, remonté comme un ressort, est parti en bolide dans la direction que je lui avais suggérée, et que toute la police se précipite vers les écuries d’à côté, dont ils vont démolir l’entrée. Regarde-les filer à travers la pelouse. Viens, Fagerault, il n’y plus de temps à perdre.
D’Enneris paraissait si calme et il parlait avec tant d’assurance que toute agitation cessait autour de lui. Aucune menace de danger ne persistait. On évoquait Béchoux et ses inspecteurs en train d’arpenter la rue et de fracturer des portes.
Le comte tendit la main à d’Enneris et lui demanda :
— Vous n’avez pas besoin de moi, monsieur ?
— Non, monsieur. La route est libre durant une ou deux minutes encore.
Il s’inclina devant Gilberte, qui lui offrit également sa main.
— Je ne vous remercierai jamais assez, monsieur, de ce que vous avez fait pour nous, dit-elle.
— Et pour l’honneur de notre nom et de notre famille, ajouta le comte. Je vous remercie de tout cœur.
— À bientôt, ma petite Arlette, fit d’Enneris. Dis-lui adieu, Fagerault. Elle t’écrira : Antoine Fagerault, caissier à Buenos-Ayres.
Il prit dans le tiroir d’une table un petit carton fermé d’un caoutchouc, à propos duquel il ne donna aucune explication, puis il salua une dernière fois et entraîna Fagerault. M. et Mme de Mélamare et la jeune fille les suivaient de loin.
Le vestibule était vide. Au milieu de la cour, on apercevait dans l’ombre croissante les deux autos. L’une, celle de la Préfecture, contenait le vieux Martin et sa fille, ligotés. Van Houben, le revolver au poing, les surveillait, assisté du chauffeur.
— Victoire ! s’écria d’Enneris, en arrivant près de Van Houben. Il y avait, dans un placard, un complice qu’on a pincé. C’est lui qui avait barboté les diamants. Béchoux et ses hommes le poursuivent.
— Et les diamants ? proféra Van Houben, qui n’eut pas un soupçon.
— Fagerault les a retrouvés.
— On les a ?
— Oui, affirma d’Enneris, en montrant le carton qu’il avait pris dans le tiroir et en entrebâillant le couvercle.
— Nom de Dieu ! mes diamants ! Donne.
— Oui, mais d’abord, nous sauvons Antoine. C’est la condition. Conduis-nous dans ton auto.
Dès l’instant où les diamants étaient retrouvés, Van Houben se fût prêté à toutes les combinaisons. Ils sortirent tous les trois de la cour et sautèrent dans l’auto. Van Houben démarra sur-le-champ.
— Où allons-nous ? dit-il.
— En Belgique. Cent kilomètres à l’heure.
— Soit, dit Van Houben, qui arracha la boîte à d’Enneris et l’empocha.
— Comme tu veux, dit Jean. Mais si nous ne passons pas la frontière avant qu’on ait télégraphié de la Préfecture, je les reprends. Tu es prévenu.
L’idée qu’il avait ses diamants en poche, la peur de les perdre, l’action irrésistible que d’Enneris exerçait sur lui, tout cela étourdissait Van Houben au point qu’il n’eut pas d’autre pensée que de maintenir sa vitesse au maximum, de ne jamais ralentir, même en traversant les villages, et de gagner la frontière.
On la gagna un peu après minuit.
— Arrête-nous là, dit Jean, deux cents mètres avant la douane. Je vais guider Fagerault pour qu’il n’ait pas d’ennuis, et je te rejoins d’ici une heure. Nous rentrerons aussitôt à Paris.
Van Houben attendit une heure, il attendit deux heures. C’est seulement alors qu’un soupçon le pénétra comme un coup de stylet. Depuis le départ, il avait examiné la situation sous toutes ses faces, il avait cherché pourquoi d’Enneris agissait ainsi, et comment lui, Van Houben, résisterait si on voulait lui reprendre le carton. Mais, pas une seconde, il n’avait eu l’idée qu’il pouvait y avoir autre chose dans ce carton que ses diamants.
À la lueur d’un phare, la main tremblante, il fit l’examen. Le carton contenait quelques douzaines de cristaux taillés, lesquels cristaux provenaient évidemment du lustre mutilé…
Van Houben retourna directement à Paris, à la même allure. Dupé par d’Enneris et Fagerault, comprenant qu’il n’avait servi qu’à les transporter hors de France, il n’avait plus d’espoir, pour recouvrer ses diamants, que dans les révélations du vieux Martin et de sa fille Laurence.
Mais, en arrivant, il lut dans les journaux que, la veille au soir, le vieux Martin s’était étranglé et que sa fille Laurence s’était empoisonnée.