Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Arlette a raison, dit Régine. On l’interroge, elle répond. Mais il est évident que le comte de Mélamare, d’après tout ce que le monde sait de lui et de sa sœur, avec qui il vit, ne peut pas être l’homme qui vous a épiée dans la rue, ni l’homme qui nous a enlevées, vous et moi.

— Porte-t-il des chaussures à tige claire ? dit Jean d’Enneris.

— Je ne sais pas… ou plutôt si… quelquefois…

— Presque toujours, dit nettement Van Houben.

L’affirmation fut suivie d’un silence. Puis Van Houben reprit :

— Il y a là quelque malentendu. Je répète que le comte de Mélamare est un parfait gentilhomme.

— Allons le voir, dit simplement d’Enneris. Van Houben, est-ce que vous n’avez pas un ami qui est de la police, un sieur Béchoux ? Il nous fera entrer, lui.

Béchoux s’indigna.

— Alors, vous vous imaginez que l’on entre chez les gens comme ça, et que, sans enquête préalable, sans charges, sans mandat, on va les questionner à propos de racontars stupides ? Oui, stupides. Tout ce que j’entends depuis une demi-heure est un comble de stupidité.

D’Enneris murmura :

— Dire que j’ai joué au cerceau avec cette gourde-là ! Quel remords !

Il se tourna vers Régine.

— Chère amie, ayez l’obligeance d’ouvrir l’annuaire téléphonique et de faire demander le numéro du comte Adrien de Mélamare. On se passera du sieur Béchoux.

Il se leva. Au bout d’un instant, Régine Aubry lui passa l’appareil, et il dit :

— Allo ! je suis chez le comte de Mélamare ? C’est le baron d’Enneris qui est au téléphone… M. le comte de Mélamare lui-même ? Monsieur, excusez-moi de vous déranger, mais j’ai lu, il y a deux ou trois semaines, dans les journaux, l’annonce que vous avez fait insérer à propos de quelques objets qui vous ont été dérobés, le pommeau d’une paire de pincettes, une bobèche en argent, une entrée de serrure, et la moitié d’un ruban de sonnette en soie bleue… tous objets sans valeur, mais auxquels vous tenez pour des raisons particulières… Je ne me trompe pas, n’est-ce pas, monsieur ?… En ce cas, si vous voulez bien me recevoir, je pourrai vous donner quelques renseignements utiles à ce sujet… À deux heures, aujourd’hui ?… Très bien… Ah ! un mot encore, puis-je me permettre d’amener deux dames dont le rôle d’ailleurs vous sera expliqué ?… Vous êtes trop aimable, monsieur, et je vous remercie infiniment.

D’Enneris raccrocha.

— Si le sieur Béchoux était là, il verrait qu’on entre chez les gens comme on veut. Régine, vous avez vu sur l’annuaire où demeure le comte ?

— 13, rue d’Urfé.

— Donc, dans le faubourg Saint-Germain.

Régine interrogea :

— Mais ces objets, où sont-ils ?

— En ma possession. Je les ai achetés le jour même de l’annonce, pour la modique somme de treize francs cinquante.

— Et pourquoi ne les avez-vous pas renvoyés au comte ?

— Ce nom de Mélamare me rappelait quelque chose de confus. Il me semble qu’il y a eu, jadis, au cours du dix-neuvième siècle, une affaire Mélamare. Et puis je n’ai pas eu le temps de m’enquérir. Mais nous allons nous rattraper. Régine, Arlette, rendez-vous à deux heures moins dix sur la place du Palais-Bourbon. La séance est levée.

Séance vraiment efficace. Une demi-heure avait suffi à d’Enneris pour déblayer le terrain et pour découvrir une porte à laquelle on pouvait enfin frapper. Dans l’ombre, une silhouette se dressait, et le problème se posait d’une façon plus précise : Quel rôle jouait dans l’affaire le comte de Mélamare ?

Régine retint Arlette à déjeuner. D’Enneris s’en alla une ou deux minutes après Van Houben et Béchoux. Mais il les retrouva sur le palier du second étage où Béchoux, brusquement exaspéré, avait agrippé Van Houben par le collet de son veston.

— Non, je ne vous laisserai pas plus longtemps suivre une route qui vous mène sûrement au désastre. Non ! je ne veux pas que vous soyez la victime d’un imposteur. Savez-vous qui est cet homme ?

D’Enneris s’avança.

— Il s’agit de moi, évidemment, et le sieur Béchoux a envie de vider son sac.