Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/7

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Van Houben tira de sa poche un revolver. D’Enneris lui tordit le poignet.

— Vous n’allez pas vous tuer, hein ?

— Fichtre non ! dit l’autre, mais le tuer, lui.

— Qui, lui ?

— Le voleur. On le trouvera ! il faut le trouver. Je remuerai ciel et terre !

Il avait l’air égaré et pivotait sur lui-même comme une toupie au milieu des gens qui s’esclaffaient.

— Mes diamants ! je ne me laisserai pas faire ! on n’a pas le droit !… l’État est responsable…

D’Enneris ne s’était pas trompé. L’individu, tenant sur l’épaule Régine évanouie et recouverte du manteau de fourrure, avait traversé le boulevard Haussmann et s’était dirigé vers la rue de Mogador. Une auto y stationnait. À son approche, la portière s’ouvrit et une femme, dont une dentelle épaisse enveloppait la tête, tendit les bras. L’individu lui passa Régine en disant :

— Le coup a réussi… Un vrai miracle !

Puis il referma la portière, monta sur le siège de devant et démarra.

L’engourdissement où l’épouvante avait plongé l’actrice dura peu. Elle se réveilla dès qu’elle eut l’impression qu’on s’éloignait de l’incendie, ou de ce qu’elle croyait un incendie, et sa première idée fut de remercier celui ou ceux qui l’avaient sauvée. Mais, tout de suite, elle se sentit étouffée par quelque chose dont sa tête était entourée et qui l’empêchait de respirer à son aise et de voir.

— Qu’est-ce qu’il y a ? murmura-t-elle.

Une voix très basse, qui semblait une voix de femme, lui dit à l’oreille :

— Ne bougez pas. Et si vous appelez au secours, tant pis pour vous, ma petite.

Régine éprouva une vive douleur à l’épaule et cria.

— Ce n’est rien, dit la femme. La pointe d’un couteau… Dois-je appuyer ?

Régine ne remua plus. Ses idées cependant s’ordonnaient, la situation apparaissait sous son aspect véritable, et, en se rappelant les flammes entrevues et le commencement d’incendie, elle se répétait :

« J’ai été enlevée… enlevée par un homme qui a profité de la panique… et qui m’emporte avec l’aide d’une complice. »

Doucement elle tâtonna de sa main libre : le corselet de diamants était là et devait être intact.

L’auto filait à une allure rapide. Quant à deviner la route suivie, Régine, dans la prison de ténèbres où elle se trouvait, n’y songea point. Elle avait l’impression que l’on tournait souvent, à virages brusques, sans doute pour échapper à une poursuite possible, et pour qu’elle ne pût, elle, s’y reconnaître.

En tout cas, on ne s’arrêta devant aucun octroi, ce qui prouvait qu’on ne sortait pas de Paris. De plus, les lumières des becs électriques se succédaient à intervalles rapprochés et jetaient dans la voiture de vives clartés qu’elle apercevait.

C’est ainsi que, la femme ayant un peu desserré son étreinte, et le manteau s’étant légèrement écarté, Régine put voir deux doigts de la main qui se crispaient autour de la fourrure, et l’un de ces doigts, l’index, portait une bague faite de trois petites perles fines disposées en triangle.

Le trajet dura peut-être vingt minutes. Puis l’auto ralentit et fit halte. L’homme sauta du siège. Les deux battants d’une porte s’ouvrirent lourdement l’un après l’autre, et l’on entra dans ce qui devait être une cour intérieure.

La femme aveugla Régine le plus possible et, assistée de son complice, l’aida à descendre.

On monta un perron de six marches en pierre. Puis on traversa un vestibule dallé, et ce furent ensuite les vingt-cinq marches d’un escalier, garni d’un tapis et bordé d’une vieille rampe, qui les conduisit dans une pièce du premier étage.

L’homme, à son tour, lui dit, très bas également et à l’oreille :

— Vous êtes arrivée. Je n’aime pas agir brutalement, et il ne vous sera fait aucun mal si vous me donnez votre tunique de diamants. Vous y consentez ?

— Non, riposta vivement Régine.

— Il nous est facile de vous la prendre, et nous l’aurions pu déjà, dans l’auto.

— Non, non, fit-elle, avec une surexcitation fébrile. Pas cette tunique… Non…