Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/71

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Le frère et la sœur avaient repris confiance dans la vie, quoique leur résolution de quitter Paris et de vendre leur hôtel fût définitive. Ils éprouvaient le même besoin de partir et considéraient comme un devoir de faire au destin hostile le sacrifice de la vieille maison familiale.

Mais ce qui restait encore de leurs longues inquiétudes se dissipait au contact de la jeune fille et de leur ami Fagerault. Arlette apportait dans cette demeure, pour ainsi dire abandonnée depuis plus d’un siècle, sa grâce, sa jeunesse, la clarté de ses cheveux blonds, l’équilibre de sa nature et l’élan de son enthousiasme. Elle s’était fait aimer, à son insu et tout naturellement, de Gilberte et du comte, et d’Enneris comprit pourquoi, dans leur désir de la rendre heureuse, ils avaient cru concourir à une bonne action en appuyant les prétentions de Fagerault, de celui qu’ils considéraient comme leur bienfaiteur.

Quant à lui, Fagerault, très gai, toujours de bonne humeur, expansif et insouciant, il exerçait sur eux une influence profonde, qu’Arlette semblait subir au même point. Il était vraiment le type de l’homme qui n’a pas d’arrière-pensée et qui s’abandonne à la vie en toute confiance et en toute sécurité.

Aussi avec quelle attention anxieuse d’Enneris étudiait la jeune fille ! Il y avait entre elle et lui, malgré leur conversation affectueuse devant le garage de Levallois, une certaine gêne que Jean n’essayait pas de combattre. Et, cette gêne, il s’obstinait à croire qu’Arlette la conservait même en dehors de lui, et qu’elle ne se laissait pas aller au bonheur naturel d’une femme qui aime et dont le mariage approche.

On n’eût point dit qu’elle envisageait l’avenir à ce point de vue, et que cet hôtel de Mélamare, qu’elle allait habiter, fût sa maison d’épouse. Lorsqu’elle en parlait avec Fagerault — et c’était tout le sujet de leurs conversations — ils semblaient aménager le siège social d’une œuvre philanthropique. C’est qu’en effet l’hôtel Mélamare, selon les projets d’Arlette, devenait le Foyer de la « Caisse dotale ». Là se réunirait le conseil d’administration. Là les protégées d’Arlette auraient leur salle de lecture. Le rêve d’Arlette, mannequin de chez Chernitz, se réalisait. Il n’était jamais question des rêves d’Arlette jeune fille.

Fagerault était le premier à en rire.