sistait pas toujours. Malgré eux les deux hommes se laissaient aller, par instants, à prendre posture d’adversaires. Fagerault eut l’audace d’amener Van Houben au thé des Mélamare, et Van Houben marqua la plus grande froideur vis-à-vis de Jean. Il parla de diamants et déclara qu’Antoine Fagerault était sur la piste du voleur, et il dit cela avec un tel accent de menace que d’Enneris se demanda si le dessein de Fagerault n’était pas de le mettre en cause, lui, d’Enneris.
La bataille ne pouvait tarder. D’Enneris, dont les idées s’appuyaient sur une réalité de plus en plus solide, en avait fixé la date et l’heure. Mais ne serait-il pas devancé ? Un fait dramatique se produisit qui lui parut de mauvais augure à ce sujet.
Il avait pris à sa solde le portier du Mondial Palace où demeurait Fagerault et il savait par lui, et par Béchoux, d’ailleurs, dont la surveillance ne se démentait pas, que Fagerault ne recevait jamais ni lettres ni visites. Un matin, néanmoins, d’Enneris fut averti qu’on avait perçu quelques mots d’une communication téléphonique, très courte, échangée entre Fagerault et une femme. Rendez-vous était pris pour le soir à onze heures et demie dans le jardin du Champ-de-Mars, « à la même place que la dernière fois ».
Le soir, dès onze heures, Jean d’Enneris rôda au pied de la tour Eiffel et dans les jardins. Il faisait une nuit sans lune et sans étoiles. Il chercha longtemps et ne rencontra pas Fagerault. Ce n’est guère avant minuit qu’il avisa, sur un banc, une masse épaisse qui lui parut être une femme ployée en deux, la tête presque sur les genoux.
— Eh ! dites donc, cria Jean, on ne dort pas comme ça en plein air… Tenez, voilà qu’il pleut.
La femme ne remuait pas. Il se pencha, sa lampe électrique à la main, vit une tête sans chapeau, des cheveux gris et une mante qui traînait sur le sable. Il souleva la tête qui retomba aussitôt : il avait eu le temps de reconnaître, toute pâle, de la pâleur d’une morte, la marchande à la toilette, la sœur de Laurence Martin.
L’endroit se trouvait à l’écart des allées centrales, au milieu de massifs, mais non loin de l’École militaire. Or, sur l’avenue, passaient deux agents cyclistes dont il attira l’attention d’un coup de sifflet, et qu’il appela au secours.
— C’est bête ce que je fais, se dit-il. À quoi bon m’occuper de cela ?
Dès que les agents se furent approchés, il leur expliqua sa découverte. On dévêtit un peu la femme et l’on aperçut le manche d’un poignard planté au-dessous de l’épaule. Les mains étaient froides. La mort devait remonter à trente ou quarante minutes. Le sable, à l’entour, était piétiné, comme si la victime s’était débattue. Mais la pluie, qui commençait à tomber fortement, effaçait les traces.
— Il faudrait une automobile, observa l’un des agents, et la porter au poste.
Jean s’offrit.
— Amenez le corps jusqu’à l’avenue. Moi, je reviens avec une voiture : la station est tout près.
Il se mit à courir. Mais, à la station, au lieu de monter dans le taxi, il se contenta d’avertir le chauffeur et de l’envoyer au-devant des agents. Pour lui, il s’éloigna du côté opposé à vive allure.
— Pas la peine de faire du zèle, se disait-il. On me demanderait mon nom. Je serais convoqué à l’instruction. Que de tracas pour un homme paisible ! Mais qui diable a tué cette revendeuse ? Antoine Fagerault, à qui elle avait donné rendez-vous ? Laurence Martin qui a voulu se débarrasser de sa sœur ? Il y a une chose de plus en plus évidente, c’est que la brouille est entre les complices. Avec cette hypothèse, tout s’explique, la conduite de Fagerault, ses plans, tout…
Le lendemain, les journaux de midi relatèrent en quelques lignes l’assassinat d’une vieille femme dans les jardins du Champ-de-Mars. Mais, le soir, double coup de théâtre ! La victime n’était autre que la marchande à la toilette de la rue Saint-Denis, c’est-à-dire la complice de Laurence Martin et de son père… Et dans une de ses poches on avait recueilli un bout de papier qui portait ce nom tracé d’une écriture grossière et visiblement déguisée « Ars. Lupin. » En outre les agents cyclistes racontèrent l’épisode de l’homme trouvé près du cadavre et qui s’était prudemment esquivé. Aucun doute : Arsène Lupin se trouvait mêlé à l’affaire du corselet de diamants !