Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/118

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vieille cousine toujours mal embouchée, et à qui je dois faire ma cour de temps à autre. Et tu vois le résultat !… Tu es prête ?

— Prête ?

— Oui. Nous filons. L’air de Paris est malsain.

Comme elle demeurait songeuse, il insista :

— Je t’en supplie, Clara. Nous n’avons plus rien à faire ici. Un retard peut être dangereux.

Elle l’observa :

— Tu es inquiet ?

— Je commence.

— De quoi es-tu inquiet ?

— De rien… De tout.

Elle comprit que c’était sérieux et s’habilla rapidement.

À cet instant, Courville, qui avait la clef du jardin et qui rentrait, apporta les journaux de l’après-midi sur lesquels Raoul jeta un coup d’œil.

— Tout va bien, dit-il. La blessure du grand Paul n’est décidément pas mortelle, mais il est hors d’état de répondre avant une semaine… L’Arabe s’obstine toujours dans son mutisme.

— Et Antonine ? demanda Clara.

— Libérée, affirma froidement Raoul.

— On l’annonce ?

— Oui. Les explications du marquis ont été décisives. Elle a été libérée.

Son assurance était telle que Clara fut convaincue.

Courville prit congé d’eux.

— Plus de papiers compromettants ici ? lui dit Raoul. Nous ne laissons rien ?

— Absolument rien, monsieur.

— Fais une dernière inspection et file, mon vieux. N’oublie pas que vous vous retrouvez tous, chaque jour, à notre nouveau centre de l’île Saint-Louis. D’ailleurs, je te revois tout à l’heure, près de l’auto.

Clara cependant achevait de s’arranger, pressée par Raoul. Quand elle eut mis son chapeau, elle lui saisit les mains.

— Qu’est-ce que tu as ? dit-il.

— Jure-moi que cette Olga ?…

— Comment ! tu y penses encore ? s’écria Raoul en riant.

— Réfléchis…

— Mais puisque je t’assure que c’est une vieille tante à héritage !…

— Tu m’avais dit une vieille cousine.

— Elle est à la fois ma tante et ma cousine. Son beau-père et la sœur d’un de mes oncles s’étaient mariés en troisièmes noces.

Elle sourit et lui posa la main sur la bouche :

— Ne mens pas, mon adoré. Au fond, cela m’est égal. Il n’y a qu’une personne dont je sois jalouse.

— Courville ? Je t’assure que mon amitié pour lui…

— Tais-toi… ne ris pas… supplia-t-elle. Tu comprends bien de qui je parle.

Il la serra contre lui.

— Tu es jalouse de toi-même. Tu es jalouse de ton image.

— De mon image, tu as raison, de cette image de moi qui a une expression différente, des yeux plus doux…

— Tu as les yeux les plus doux qui soient, dit Raoul en l’embrassant avec passion, des yeux d’une tendresse…

— Des yeux qui ont trop pleuré.

— Des yeux qui n’ont pas assez ri. C’est ce qui te manque, le rire, et je te l’apprendrai.

— Un mot encore. Sais-tu pourquoi Antonine a laissé durer l’erreur depuis deux jours et n’a rien dit ?

— Non.

— Parce qu’elle avait peur de dire quelque chose qui pût se retourner contre toi.

— Et pourquoi cette peur ?

— Parce qu’elle t’aime.

Il se mit à danser de joie.

— Ah ! comme c’est gentil de m’en faire part ! Tu crois vraiment qu’elle m’aime ? Que veux-tu, je suis irrésistible, moi ! Antonine m’aime. Olga m’aime. Zozotte m’aime. Courville m’aime. Gorgeret m’aime.