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chaque fois que tu utilises notre installation téléphonique particulière, tu choisis le moment où je dors pour me révéler d’incroyables niaiseries. Dans ces conditions…

— Dans ces conditions, vous me donnez mes huit jours, fit Courville piteusement.

— Non, mais je prends l’affaire en main, et je la prends parce que s’y trouve mêlée la plus ravissante enfant aux cheveux d’or que j’aie jamais rencontrée.

— Puis-je vous rappeler, monsieur, l’existence de Sa Majesté la reine Olga ?

— Je me fous de Sa Majesté la reine de Borostyrie. Rien ne compte plus pour moi qu’Antonine, dite Clara la Blonde. Il faut que tout cela marche rondement, que je sache ce que complote le sieur Valthex, en quoi consiste le secret du marquis, et pourquoi survient inopinément aujourd’hui la soi-disant maîtresse du grand Paul.

— La maîtresse ?…

— N’essaie pas de comprendre.

— Qu’est-ce que je dois essayer de comprendre ?

— La vérité sur le rôle exact que tu joues près de moi.

Courville murmura :

— J’aimerais mieux ne pas savoir…

— La vérité ne doit jamais faire peur, dit Raoul sévèrement. Sais-tu qui je suis ?

— Non.

— Arsène Lupin, cambrioleur.

Courville ne broncha pas. Peut-être pensa-t-il que M. Raoul eût dû lui épargner cette révélation, mais aucune révélation, si dure qu’elle fût pour sa probité, ne pouvait atténuer ses sentiments de reconnaissance, ni diminuer à ses yeux le prestige de M. Raoul.

Et Raoul poursuivit :

— Apprends donc que je me suis jeté dans l’aventure Erlemont comme toutes les fois… sans savoir où je vais, et sans rien connaître des événements, m’engageant sur un indice quelconque et, pour le reste, me fiant à ma bonne étoile et à mon flair. En l’occurrence, je savais par mon service de renseignements que la ruine d’un sieur d’Erlemont, qui vendait, un à un, ses châteaux et ses domaines de province, ainsi que quelques-uns des livres les plus précieux de sa bibliothèque, suscitait dans quelques milieux de la noblesse un certain étonnement. En effet, d’après mon enquête, le grand-père maternel du sieur Erlemont, voyageur acharné, sorte de conquistador intrépide, possesseur de domaines immenses aux Indes, ayant titre et rang de nabab, était revenu en France avec la réputation d’un multimillionnaire. Il mourait presque aussitôt, laissant ses richesses à sa fille, mère du marquis actuel.

» Qu’étaient devenues ces richesses ? On aurait pu supposer que Jean d’Erlemont les avait dissipées, bien que son train de maison eût été toujours fort raisonnable. Mais voilà que le hasard m’a livré un document qui semble donner une autre explication. C’est une lettre, aux trois quarts déchirée, pas très récente d’aspect, et où, parmi des détails secondaires, il est écrit, sous la signature du marquis :

« La mission dont je vous ai chargé ne paraît pas sur le point d’aboutir. L’héritage de mon grand-père demeure toujours introuvable. Je vous rappelle les deux clauses de notre convention : discrétion absolue et une part de dix pour cent pour vous, avec maximum de un million… Mais, hélas ! j’ai fait appel à votre agence dans l’espoir d’un résultat rapide, et le temps passe… »

» Sur ce bout de lettre, aucune date, aucune adresse. Il s’agissait évidemment d’une agence de renseignements, mais quelle agence ? Je n’ai pas perdu à la rechercher un temps précieux, trouvant beaucoup plus efficace de collaborer avec le marquis et de t’installer sur place.