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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/25

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clef. Pas même le tracas de s’orienter : il possédait un plan.

Il entra donc, comme chez lui, et, comme chez lui, après avoir suivi le couloir qui menait au cabinet de travail, il alluma l’électricité de cette pièce. On ne travaille bien qu’en pleine lumière.

Une grande glace placée entre les deux fenêtres lui renvoya son image qui venait à sa rencontre. Il se salua et fit des grâces, ayant un esprit fantaisiste qui le disposait à se jouer la comédie pour lui seul plus encore que pour les autres.

Puis il s’assit et regarda. On ne doit pas perdre son temps à s’agiter comme un étourneau, à vider fiévreusement des tiroirs et à bouleverser une bibliothèque. Non, il faut réfléchir, scruter du regard avant tout, établir les justes proportions, jauger les capacités, mesurer les dimensions. Tel meuble ne devrait pas normalement avoir telles lignes. Tel fauteuil n’a pas cet aspect d’emprunt. Les cachettes échappent à un Courville : pour un Lupin, il n’y a pas de secrets.

Au bout de dix minutes de cette contemplation attentive, il alla droit au bureau, s’agenouilla, en palpa le bois satiné, en étudia les baguettes de cuivre. Puis il se releva, esquissa quelques gestes de prestidigitateur, ouvrit un tiroir, l’enleva complètement, appuya d’un côté, poussa de l’autre, prononça des paroles et claqua de la langue.

Un déclenchement s’effectua. Un second tiroir jaillit de l’intérieur.

Il claqua de nouveau de la langue, en pensant :

— Fichtre ! quand je m’y mets !… Et dire que cette gourde de barbe blanche n’a rien découvert en quarante jours, alors que quarante secondes m’ont suffi. Quel bonhomme je fais !

Mais encore fallait-il que sa découverte eût une signification et un résultat. Au fond, ce qu’il espérait, c’était la lettre apportée au marquis par la jeune Antonine. Il vit tout de suite qu’elle ne s’y trouvait pas.

D’abord, dans une grande enveloppe jaune, une dizaine de billets de mille francs. Cela, c’était sacré. On ne rafle pas l’argent de poche de son voisin, de son propriétaire, d’un représentant de la vieille noblesse française ! Il repoussa l’enveloppe avec dégoût.

Pour le reste, un examen sommaire lui permit de constater qu’il n’y avait là que des lettres et des portraits, lettres de femmes, portraits de femmes. Souvenirs, évidemment. Reliques d’homme à conquêtes, qui n’a pu se décider à brûler les traces d’un passé qui représentait pour lui tout le bonheur et tout l’amour.

Les lettres ? il eût fallu les lire toutes, et chercher dans chacune ce qui pouvait avoir un intérêt. Travail considérable et peut-être inutile, et qu’il eut d’ailleurs quelque scrupule à entreprendre. L’amoureux, le conquérant qu’il était lui-même, se piquait de trop de délicatesse pour entrer brutalement dans l’intimité de ces confidences et de ces aveux de femmes.

Mais comment avoir le courage de ne pas contempler des photographies ? Il y en avait bien une centaine… Aventures d’un jour ou d’une année… Preuves de tendresse ou de passion… Toutes, elles étaient jolies, gracieuses, aimantes et câlines, avec des yeux qui promettaient, des attitudes abandonnées, des sourires qui se rappelaient, de la tristesse parfois, de l’angoisse. Il y avait des noms, des dates, des dédicaces, des allusions à quelque épisode de la liaison. Grandes dames, artistes, midinettes, elles surgissaient ainsi de l’ombre, inconnues les unes des autres, et cependant si proches les unes des autres par le souvenir commun de cet homme.

Raoul ne les examina pas toutes. Au fond du tiroir, une plus grande photographie qu’il devinait sous la double feuille de papier qui la protégeait attira plus spécialement son attention. Il y passa tout de suite, écarta les deux feuilles, et regarda.