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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/39

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en fait, une grimace ! De fait, la situation est mauvaise, doublement mauvaise, et il va falloir expliquer à Gorgeret en quoi la liaison de Clara la Blonde et du grand Paul se rattache à l’aventure du château et le rôle que le grand Paul joue là-dedans. Tout cela est captivant, et je ne donnerais pas pour beaucoup la position de Gorgeret.

Trois pas encore. Gorgeret tira de son portefeuille le mandat d’amener qu’il déplia avec un air de raillerie féroce.

— Faut-il vous lire mon petit papier ? Pas la peine, n’est-ce pas ? Vous m’accompagnerez docilement jusqu’à mon auto, et à Vichy on prend le train pour Paris. Vrai, je lâche sans regret la cérémonie des enchères. J’ai levé un gibier qui me suffit. Mais pourquoi diable ?…

Il s’interrompit. Il se passait quelque chose qui l’intriguait. Toute expression d’épouvante s’effaçait peu à peu du joli visage blond, et l’on eût dit — phénomène incompréhensible — oui, on eût dit qu’un vague sourire commençait à l’éclairer. Était-ce croyable, et pouvait-on admettre que son regard se détachât de son regard à lui ? Elle n’avait plus son air de bête traquée, d’oiseau fasciné et qui tremble. En vérité, où donc allaient ses yeux, et à qui souriait-elle ?

Gorgeret se retourna :

— Cré bon sang ! murmura-t-il. Qu’est-ce qu’il vient faire, ce client-là ?

En réalité, Gorgeret n’apercevait, à l’angle d’un pilier, où s’arc-boutaient les vestiges d’une chapelle, qu’un bras qui dépassait, qu’une main qui braquait un revolver de son côté… Mais, étant donné l’apaisement subit de la jeune fille, il ne douta pas une seconde que ce bras et que cette main n’appartinssent à ce M. Raoul qui semblait acharné à la défendre. Clara la Blonde, au château de Volnic, cela supposait la présence du sieur Raoul, et c’était bien dans la façon badine du sieur Raoul que de rester invisible tout en faisant jouer la menace de son revolver.

Gorgeret, d’ailleurs, n’eut pas un instant d’hésitation. Il était fort brave et ne reculait jamais devant le danger. D’autre part, que la petite se sauvât — et elle n’y manqua point —il saurait bien la rattraper dans le parc ou dans le pays. Il s’élança donc en criant :

— Toi, mon bonhomme, tu n’y coupes pas.

La main disparut. Et lorsque Gorgeret atteignit l’angle du portique, il ne vit qu’un rideau de lierre drapé d’une arcade à l’autre. Il ne ralentit pas sa course cependant, l’ennemi n’ayant pas pu s’évanouir. Mais, à son passage, le bras jaillit du lierre, un bras qui n’agitait pas d’arme, mais qui était muni d’un