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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/43

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rien de tout cela ne compte plus pour mademoiselle ?

Il voulut l’embrasser sur la nuque, et n’atteignit que l’étoffe de son corsage.

— Laissez-moi, balbutiait Antonine, laissez-moi… c’est abominable…

Obstinément tournée vers la porte qu’elle essayait d’ouvrir, elle se débattait avec fureur. Raoul s’irrita, lui enlaça le cou, lui renversa la tête, et chercha brusquement la bouche qui se dérobait.

Elle cria :

— Ah ! quelle honte ! je vais appeler… Quelle honte !

Il recula soudain. Les pas du marquis résonnaient sur les dalles du vestibule. Raoul ricana :

— Vous en avez de la veine ! Mais si je m’attendais à cette rebuffade ! Fichtre ! l’autre nuit, dans la bibliothèque du marquis, vous étiez plus souple. On se retrouvera, vous savez, ma jolie.

Elle n’essayait plus d’ouvrir. Elle recula, elle aussi. Lorsque Jean d’Erlemont entra, il la vit en face de lui, dans une attitude d’hésitation et d’émotion.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Rien… rien… dit-elle, encore suffoquée. Je voulais vous parler.

— De quoi ?

— Non… une chose sans importance… je me trompais. Je vous assure, parrain…

Le marquis se tourna vers Raoul qui écoutait en souriant et qui répondit à son interrogation muette :

— Je suppose que mademoiselle voulait vous parler d’un léger malentendu que je désirais d’ailleurs dissiper moi-même.

— Je ne comprends pas, monsieur, déclara le marquis.

— Voici. J’ai donné mon véritable nom, don Luis Perenna. Mais, pour des raisons personnelles, j’habite à Paris sous un nom d’emprunt, M. Raoul. Et c’est comme tel que j’ai loué chez vous, monsieur, votre entresol du quai Voltaire. Or, l’autre jour mademoiselle a sonné à ma porte au lieu de sonner à la vôtre et je lui ai expliqué son erreur, tout en me présentant sous mon nom d’emprunt. Alors, n’est-ce pas ? aujourd’hui, elle a dû éprouver quelque surprise…

La surprise de Jean d’Erlemont semblait aussi grande. Que lui voulait ce personnage bizarre dont la conduite était pour le moins assez équivoque et dont l’état civil ne paraissait pas très nettement établi ?

— Qui êtes-vous, monsieur ? Vous avez sollicité de moi un entretien… À quel propos ?

— À quel propos ? dit Raoul qui, jusqu’à la fin de la conversation, affecta de ne pas tourner les yeux vers la jeune fille. À propos d’une affaire…

— Je ne fais pas d’affaires ! lui jeta d’Erlemont d’une voix cassante.

— Moi non plus, affirma Raoul, mais je m’occupe de celles des autres.

Cela devenait sérieux. Y avait-il là une amorce de chantage ? la menace d’un ennemi qui allait se découvrir ? D’Erlemont tâta la poche de son revolver, puis consulta du regard sa filleule. Elle écoutait avec une attention anxieuse.

— Soyons brefs, dit-il. Que voulez-vous ?

— Récupérer l’héritage dont vous avez été frustré jadis.

— L’héritage ?

— Celui de votre grand-père, héritage qui a disparu et au sujet duquel vous avez fait faire d’inutiles recherches par une agence.

— Ah ! bien, s’écria le marquis en riant, vous vous présentez comme un agent de renseignements !

— Non, mais comme un amateur qui aime rendre service à ses semblables. J’ai la manie de ces espèces d’enquêtes. C’est une passion, un besoin de savoir, d’éclaircir, de résoudre ces énigmes. En vérité, je ne pourrais pas vous dire à quels résultats surprenants je suis arrivé dans la vie, les problèmes séculaires que j’ai résolus, les trésors historiques que j’ai mis au jour, les ténèbres où j’ai jeté la lumière…