Aller au contenu

Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Gorgeret le considéra longuement. Pourquoi se séparer au lieu d’aller ensemble jusqu’à ce bar ? Était-ce un stratagème ? Une façon de lui brûler la politesse ?

Autant que le grand Paul, Gorgeret détestait cet homme qui se jouait si facilement de lui et qui lui avait fait subir une telle injure, la nuit précédente, dans les ruines du château. Mais, d’autre part, quelle tentation ! la capture du grand Paul !… le retentissement d’un tel exploit !

« Bah ! pensa Gorgeret, je rattraperai celui-là un autre jour… Et Clara la Blonde avec lui. »

Et, tout haut, il ajouta :

— Entendu. À six heures trois quarts, l’attaque brusquée.


X

Le bar des Écrevisses

Le bar des Écrevisses était fréquenté par un monde assez louche, ratés de la peinture ou du journalisme, employés sans travail et qui n’en voulaient pas, jeunes gens pâles à tournures équivoques, filles fardées avec chapeaux à plumes et corsages voyants. Mais, somme toute, un monde à peu près tranquille. Si l’on cherchait un spectacle plus pittoresque et une atmosphère plus spéciale, il fallait, au lieu d’entrer, suivre une impasse extérieure qui vous menait dans l’arrière-salle où vous guettait, écrasé dans un fauteuil, un gros homme débordant de graisse : le patron.

Tout nouvel arrivant s’arrêtait obligatoirement devant ce fauteuil, échangeait quelques paroles avec le patron, et finalement se dirigeait vers une petite porte. Un long couloir. Une autre porte, bardée de clous. Quand on ouvrait celle-ci, une bouffée de musique soufflait, mêlée à des odeurs