Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/77

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— Comme tu as raison ! dit-il en riant. Moi aussi j’aimerais mieux ne pas savoir ce que je fais. Mais j’ai une sacrée lucidité qui m’oblige à voir clair même quand je ferme les yeux. À tantôt, chérie, et n’oublie pas que tu m’as promis de ne pas bouger.

— Et n’oublie pas, toi, que tu m’as promis de ne pas t’aventurer du côté des quais.

Clara ajouta, plus bas :

— Au fond, c’est cela qui m’obsède… les dangers que tu cours…

— Je ne cours jamais de danger.

— Si. Quand j’imagine ton existence, en dehors de ce pavillon, je t’aperçois au milieu de bandits qui se jettent sur toi, de policiers qui t’en veulent…

Il acheva :

— De chiens qui essaient de me mordre, de tuiles qui cherchent à me tomber sur la tête, de flammes qui rêvent de me brûler !

— C’est cela ! C’est cela ! dit-elle, prise de gaieté à son tour.

Elle l’embrassa passionnément, puis le conduisit jusqu’à la grille.

— Dépêche-toi, mon Raoul ! Il n’y a qu’une chose importante, c’est d’être auprès de moi.

Elle s’assit dans le jardin, tâcha de lire ou de s’intéresser à un ouvrage de broderie, puis, une fois rentrée, voulut se reposer et dormir. Mais elle était tourmentée et n’avait de cœur à rien.

De temps à autre, elle se regardait dans un petit miroir. Comme elle était changée ! Que de signes de déchéance ! Les yeux se cernaient de bleu. La bouche était lasse, le sourire désolé.

— Qu’importe, se disait-elle, puisqu’il m’aime comme je suis.

Les minutes s’écoulaient, interminables.

La demie de cinq heures retentit.

Et voilà que le bruit d’une auto qui s’arrêtait la jeta vers la fenêtre. De fait, l’auto stationnait devant la grille. Un gros chauffeur en descendit et sonna.