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parler tant qu’elle croira à cette mort.

— Gredin ! chuchota Raoul.

Et il ordonna aussitôt :

— Retourne voir Clara, mais ne l’interroge pas. Dis-lui simplement ceci : « Le grand Paul n’est pas mort. On le sauvera. » Pas un mot de plus.

— Et après ?

— Après ? tu me rejoins ici et tu me jures sur la tête de ta femme que tu as fait la communication. Une heure plus tard, Zozotte réintègre le domicile conjugal.

— Et si je refuse ?

Syllabe par syllabe, Raoul laissa tomber cette petite phrase :

— Si tu refuses, je vais rejoindre Zozotte…

Gorgeret comprit et serra les poings d’un geste de fureur. Ayant réfléchi, il dit gravement :

— C’est raide ce que tu me demandes. Mon devoir est de ne rien négliger pour atteindre la vérité, et si j’épargne Clara, c’est une trahison.

— À toi de choisir. Clara… ou Zozotte.

— La question ne se pose pas ainsi…

— La question se pose ainsi pour moi.

— Mais…

— C’est à prendre ou à laisser.

Gorgeret insista :

— Enfin pourquoi exiger cette communication ?

Raoul eut le tort de répondre, et avec quelle émotion frémissante :

— J’ai peur de son désespoir. Sait-on jamais ! Pour elle, l’idée d’avoir tué…

— Tu l’aimes donc vraiment ?

— Parbleu ! sans quoi…

Il s’arrêta. Une lueur avait passé dans les yeux de Gorgeret, qui conclut :

— Soit. Reste ici. Dans vingt minutes, je suis de retour, je te rends compte, et toi…

— Et moi je relâche Zozotte.

— Tu me le jures ?

— Je te le jure.

Gorgeret se leva et appela :

— Garçon, combien les deux cafés-crème ?

Il paya et s’éloigna vivement.


XVII

L’angoisse

Toute la journée qui s’était écoulée, entre le moment où Raoul avait appris l’arrestation de Clara la Blonde et le moment où Gorgeret le retrouvait dans le dancing du quartier Saint-Antoine, avait été pour lui une suite d’heures infiniment douloureuses.

Agir, il fallait agir sans retard. Mais dans quel sens ?

Il ne dérageait pas, sinon pour s’abandonner à des crises d’accablement tout à fait contraires à sa nature, mais que provoquait en lui cette peur du suicide qui l’avait obsédé dès la première minute.

Redoutant que les complices du grand Paul, et surtout le gros chauffeur, ne signalassent à la police son domicile d’Auteuil, il établit son quartier général chez un ami qui habitait l’île Saint-Louis et qui tenait toujours à sa disposition la moitié de son appartement. De là, Raoul se trouvait à proximité de la Préfecture où il avait forcément des affidés et des complices. C’est ainsi qu’il connut la présence de Clara dans les bureaux de la police judiciaire.

Mais que pouvait-il espérer ? L’enlever ? L’entreprise, à peu près impossible, exigeait en tout cas une longue préparation. Cependant, vers midi, Courville, qui avait mission d’acheter et de dépouiller les journaux — et quel zèle il montrait, Raoul l’accusant d’avoir, par sa légèreté, conduit l’ennemi jusqu’au pavillon d’Auteuil ! — Courville apporta La Feuille du Jour qui donnait, en dernière heure, cette nouvelle :

« Contrairement à ce qu’on annonçait ce matin, le grand Paul, le fameux bandit, n’est pas mort. Quelle que soit la gravité de son cas, il n’est pas impossible, étant donné la vigueur de sa constitution, qu’il survive à sa terrible blessure… »