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Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/99

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qu’on lui proposait était contraire à son devoir professionnel ?

Raoul discernait fort bien le travail d’esprit qui avait contraint Gorgeret à s’asseoir près de lui et à se prêter aux discussions humiliantes d’un marchandage. Mais comment douter que, une fois dehors, l’inspecteur ne se ressaisît et n’obéît à des considérations toutes différentes ? Le devoir d’un policier, c’est d’arrêter le coupable. Gorgeret, qui n’en avait pas eu les moyens sur l’heure, ne s’arrangerait-il pas pour se les procurer en cet espace de vingt minutes ?

— Mais c’est évident, pensa Raoul, il est en quête de renfort. Ah ! gredin, tu passeras une sale nuit ! Garçon, de quoi écrire.

Sans plus d’hésitation, il écrivit sur le papier qu’on lui apporta :

Tout compte fait, je rejoins Zozotte.

Sur l’enveloppe : Inspecteur principal Gorgeret.

Il remit l’enveloppe au patron. Puis il retrouva son automobile, garée à cent mètres de là, et surveilla l’entrée du dancing.

Raoul ne se trompait pas. À l’heure dite, Gorgeret apparut, disposa ses hommes de manière à investir le dancing, et entra, escorté de Flamant.

— Partie nulle, avoua Raoul, qui se mit en route. Tout au plus, ai-je gagné qu’à cette heure tardive il ne peut plus tourmenter Clara.

Il fit un détour par l’île Saint-Louis, où il apprit que Zozotte, après avoir tempêté et gémi assez longtemps, s’était résignée au silence et devait dormir.

De la Préfecture, aucune nouvelle sur les tentatives faites pour communiquer avec Clara.

— À tout hasard, dit-il à son ami, gardons Zozotte jusqu’à demain midi, ne fût-ce que pour embêter Gorgeret. Je viendrai la chercher et l’on fermera les rideaux de l’auto afin qu’elle ne puisse voir d’où elle sort. Cette nuit, si tu as le moindre renseignement à me donner, téléphone-moi à Auteuil. J’y retourne, j’ai besoin de réfléchir.

Tous ses complices étant en campagne, Courville et les domestiques habitant le garage, il n’y avait personne au pavillon. Il s’installa sur un fauteuil de sa chambre et dormit une heure, ce qui lui suffisait pour se reposer et retrouver un cerveau lucide.

Un cauchemar le réveilla, où il apercevait de nouveau Clara longeant la Seine et se penchant au-dessus de l’eau attirante.

Il frappa du pied, se dressant et marchant d’un bout à l’autre de la chambre.

— Assez ! assez ! Il ne s’agit pas de flancher, mais de voir clair.