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VERS LE BUT

Les années passent vite quand elles ne laissent pas de traces matérielles. 1936 arrivait. Psychiquement je m’étais redressée. Je commençais à distinguer mal les morceaux de passé accrochés à mon être. Ils n’étaient plus entre ma vue et ma vie.

Les circonstances me permirent de voir Gurdjieff avec continuité jusqu’à la déclaration de guerre. De cette constante relation avec lui, de ce travail — de ce « développement » qu’aucun bien, aucun bonheur ne saurait pour moi égaler — je ne peux parler qu’en exposant quelques pages d’un journal que j’ai noté de temps en temps dans les longues nuits sans sommeil qui sont devenues mes nuits claires.

Je suis un peu effarée des interprétations absurdes que l’on peut donner aux efforts que relatent ce journal — faute à racheter, crime à expier, mortifications puériles, mysticisme faux — alors que mon but fut simplement d’éveiller et d’agrandir ce qui dormait encore en moi comme dans tous les humains. Je ne parlerai pas des principes de cette science. Je n’en ai pas le droit d’ailleurs. Je donnerai simplement quelques indications de ce que j’ai vécu et qui est, selon moi, le point d’arrivée de ma vie.


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Fragment de Journal
(1936-1940)


Juin 1936. Toujours souffrances. Époque pénible. Appartement enfin trouvé, rue Casimir-Périer, entre l’église et les arbres.

Fin de mois merveilleuse, à cause de ma nouvelle rencontre avec Gurdjieff. Il est installé à Paris depuis quelque temps, j’ai décidé de lui parler : « Le temps passe pour moi et je ne fais pas de progrès. Je n’ai plus beaucoup de temps à vivre, voulez-vous me permettre de lire les nouvelles parties de votre manuscrit » ? Il me regarde longuement. Enfin il dit :