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À COUP DE DICTIONNAIRE

Je le remerciai. Par téléphone son français comique me donna un fou rire.

« — Aoh ! vous voulez m’apprendre ? »

« — Jamais, votre langage est trop drôle ! »

Son rire roucoulait chaudement dans sa gorge et, lorsqu’il parlait bas, sa voix gardait la sonorité ronde d’une cloche à peine remuée.

« — Vous chantez certainement ? »

« — Mais oui, vous verrez ! »

Il fut convenu qu’il me rendrait visite le jour même.

Il arriva à quatre heures et mit dans mes mains trois petits paquets enveloppés de papier d’or, enrubannés de bleu, de rose et de mauve.

« — Des petites cadeaux », dit-il en souriant pour lui-même.

Son grand pardessus posé sur ses épaules, ondulait comme une cape. Ses mouvements étaient précautionneux. Je dénouai un ruban, mais sous l’enveloppe dorée une pelure de papier adhérait à son contenu. Allen surveillait mes gestes si gravement que je n’osai rien déchirer. Alors il demanda un peu d’eau. Avec le coin de son mouchoir, il humecta le papier. Une chose en sucre apparut, découpée en forme de cœur.

« — C’est une spécialité américaine — maple sugar. C’est très bon, et puis, ça dure longtemps. »

J’étais très occupée autour du second paquet — un savon de Guerlain à l’œillet. Le troisième objet, en forme d’étui, était plus lourd et plus grand.

« — Du chocolat poudré, dit Allen, en roulant la dernière syllabe. Vous n’avez pas pris le thé ? Voulez-vous que je fasse du chocolat ? »

Je l’emmenai vers la cuisine. Visiblement, elle chômait. Allen se précipita vers la porte.

« — Tournez le poudre, je vais chercher tout ».


Il faisait beau, je proposai de monter sur la terrasse. J’absorbai les cinq étages en courant. Je parlais… je parlais… La vie était si changée tout à coup, il me fallait jeter mon plaisir comme du lest pour supporter tant de joie.