Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
THE LITTLE REVIEW

nier numéro de la Little Review avec l’annonce suivante que je traduis textuellement : « Nous avons présenté vingt-trois mouvements d’art moderne, représentant dix-neuf pays. Pendant plus d’une décade nous avons découvert, glorifié et tué. Nous avons bataillé, souffert de la faim et risqué la prison. Nous avons gardé le record de toutes les manifestations les plus énergétiques de l’art contemporain. Les archives de la Little Review constituent un cinéma du monde de l’art moderne. Notre mission est finie. L’art contemporain est « arrivé » et pendant cent années, peut-être, il n’existera plus que — répétition.

Je fis la connaissance de Greenwich Village, le Montparnasse des New-Yorkais, où habitaient Margaret et Jane dans un appartement-grenier arrangé avec art par elles-mêmes. Aucune bohême, au contraire, beaucoup de forme et un ordre minutieux. Un salon tapissé avec des petites feuilles d’or japonais fines comme de la soie, un grand divan suspendu au plafond par de grosses chaines, et couvert de velours vieux bleu. Quatre coussins achevaient l’harmonie — vert émeraude, magenta, violet et tilleul. Un petit salon (chambre) — murs noirs, plancher rose magenta, carpette bleu foncé lumineux.

J’imaginais les artistes américains encore au « stade intellectuel » et qu’il me faudrait les fuir. Je me trompais. Cette jeunesse pas « jeune » était très renseignée, émotionnelle, romantique par tempérament mais point par l’esprit. Elle connaissait parfaitement la littérature française et ses opinions enthousiastes n’étaient pas sans discrimination. Bien qu’on ne l’imagine pas dans la vaniteuse Europe, je touchais à un centre d’art d’une densité que je n’avais jamais rencontrée ailleurs. Dans l’immense New-York les vrais artistes sont peut-être incités à se rapprocher avec une grande solidarité comme des rescapés sur un rocher. Greenwich Village est le rocher.

En Amérique on aime la bonne musique avec fanatisme et on l’écoute religieusement comme à Bayreuth. Lorsque j’entendis pour la première fois Paderewski à Carnegie Hall, toute la salle se leva quand il parut sur la scène, dans un grand élan d’amour, d’admiration et de piété.

Les concerts symphoniques de New-York sont réellement