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MA GUERRE AVEC HEARST

que forment les buildings n’étaient que lumières, et là-bas, au fond de l’horizon, des rayons de clarté glissaient de tous côtés sur l’Hudson. J’avais hâte d’être là suspendue comme dans une nacelle de ballon.

Aucune de nos malles ne put entrer chez nous. On les laissa à la cave et nous allâmes vivre là-haut comme pour une expédition. Puis ce fut un autre problème — le piano envoyé par Marjorie était trop grand pour l’ascenseur. Il fallut le découper comme un poulet.

Margaret et Allen apportèrent des présents accumulés par leurs amis : réchaud électrique, casseroles, vaisselle, couverts… et des fleurs, des fleurs.


Les discussions avec le Sunday American s’étaient arrêtées. Véral, Gordon et Read, forts de la signature qu’ils m’avaient extorquée, attendaient le moment où le journal aurait la place de publier mes Mémoires. J’avais déclaré que je prenais un avocat. Mais qui serait prêt à batailler avec une puissance comme celle de Hearst ?


Le sommet de notre tour était une cure d’altitude. Dans son espace limité des mirages surgissaient, inattendus, selon le temps et les heures. C’est de là que je déambulais chaque jour pour me rendre au bas de la ville, à Wall Street, dans le quartier des avocats.

À cette époque, au mois de mai, un plafond de feu descend sur les rues. Les rayons du soleil sur l’asphalte mitraillent les passants, des gens tombent morts, les squares mal tenus sont semés de dormeurs. Et mon accoutrement m’accablait. Je n’avais pu acheter un costume d’après-midi. Une sorte de burnous cachait ma robe de velours sombre et sur ma tête un grand chapeau de drap blanc ondulait lourdement. Il ne supportait plus le nettoyage, nous avions imaginé de le saupoudrer de farine. À la moindre brise, il exhalait de légers nuages. Je riais ou je rougissais selon mon humeur. Partout où j’entrais on voulait d’abord me débarrasser de mon man-